George Orwell est un astrologue
devenu écrivain
parce qu’il en avait marre
de passer pour un charlatan.
Catégorie : carnets
Et Graciano et McCarthy
Quand je supprime les conjonctions de coordination afin de contenir au mieux leur population dans mes textes, il m’arrive de me rappeler cependant que leur taux de natalité n’affecte pas certains romans de Cormac McCarthy et de Marc Graciano.
Ensuite, comme d’habitude, l’objectivité m’oblige à reconnaître qu’ils sont les exceptions qui confirment la règle et je reprends la traque.
« La petite était sortie de l’infans. Elle avait les membres allongés et amincis par la croissance et elle était autonome dans ses déplacements et elle était capable d’un début de raisonnement et elle était capable de jugement et elle était aussi capable d’affirmer ses goûts naissants mais elle avait gardé cependant de la gaucherie et de la maladresse dans ses mouvements. »
Marc Graciano, Liberté dans la montagne, éd. Corti
« Il traversa le champ avec le petit sur les épaules, comptant et s’arrêtant tous les cinquante pas. Arrivé aux pins il s’agenouilla et le déposa dans l’humus piquant et déplia sur lui les couvertures et s’assit sans le quitter des yeux. On eut dit une créature au sortir d’un camp de la mort. Affamé, épuisé, malade de peur. Il se pencha et lui donna un baiser et se leva et alla à la lisière du bois et inspecta les alentours pour s’assurer qu’ils étaient en sécurité. »
Cormac McCarthy, La Route, éd. de l’Olivier, traduit par François Hirsch
crédit photo Sabine Huynh avec son aimable autorisation
Y’a tant de pages à tourner
C’est étrange de franchir le seuil d’une librairie dans les conditions actuelles, masqué et désinfecté, accompagné du regard d’un libraire circonspect. On n’ose plus approcher les livres. On a l’impression de commettre un délit, un crime, peut-être, rien qu’en frôlant une tranche ; de contaminer ou de l’être à son tour en sortant un titre du fourreau de ses frères ; d’être un cochon aux pieds sales qui souille les livres davantage qu’il ne les feuillette.
Si l’on ne savait raison garder, l’on pourrait craindre, même, de donner ou de recevoir la mort à chaque page tournée ; comme dans Le Nom de la rose, mais en lecteur averti et incarné dans le corps du porcin Salvatore.
Intersection
J’aime quand deux idées, quand deux images se croisent, se télescopent. En général, leur synchronicité engendre un troisième élément dans mon esprit qui me permet d’écrire. Parfois, je m’en rends compte plus tard, en y repensant. Il peut m’arriver aussi, c’est d’ailleurs le plus souvent, d’avoir l’intuition que ces deux idées parentes seront fertiles, mais que je ne connaisse pas encore la date de la mise bas. Donc, je ne sais pas, au moment de cette intuition, si ces idées sont véritablement porteuses d’un fruit. Dans le doute et parce que je n’ai pas une mémoire formidable, je les note dans un carnet.
Hier, par exemple, j’ai regardé le premier épisode d’une série sur Arte, adaptée des nouvelles de l’écrivain Etgar Keret.
Au moment de mourir dans un accident d’ascenseur, un notaire tenait dans une poche remplie d’eau un poisson rare et laid, qu’il venait d’acheter pour son bébé à naître. Le poisson lui survécut en deux temps : il suffoqua d’abord à même le sol à côté du corps, puis un agent immobilier, ami du notaire et qui était dans les parages, le ramassa dans un déchet de bouteille pour l’emporter finalement avec lui.
Aujourd’hui, je lis « La Fracture » de Nina Allan (éditée en français chez Tristam), et voici qu’à nouveau il est question de poissons, cette fois nombreux et japonais d’origine, mais rares et laids également, auxquels leur propriétaire accorde lui aussi des propriétés et un attachement particuliers. Là encore, le possesseur des poissons perd la vie de façon prématurée et tragique.
Or, si la série est récente, le texte d’Allan, lui, est sorti en France en 2019. Le surgissement des deux dans mon quotidien à un jour d’intervalle ne me donne pas matière à écrire, mais je sais que j’en ferai quelque chose. Chapitre d’un roman, nouvelle, poème ou album jeunesse, je n’en sais fichtre rien, mais quelque chose adviendra.
J’ai enfin la preuve que Dieu et sa colère existent depuis qu’Il nous a envoyé le corona et le confinement qui va avec pour nous punir de la littérature autofictionnelle.
Buk is inside
À ceux qui me demandent comment j’arrive à écrire indifféremment pour la jeunesse et pour l’adultesse, une illustration de Bob Staak.
Pastiche par temps bleu, pastiche délicieux #2
Elle s’appelait Mireille. L’esprit vif et dure à la tâche, parce qu’il fallait bien. Parce que l’aîné, le frère, celui qui aurait dû reprendre la ferme après la mort du père, celui-là n’en eut jamais le goût. Sorti quatre ans avant elle du berceau de chair d’Hélène, sa mère, mais à regret. Une semaine après terme. Le docteur avait prévenu la mère. Si l’enfant ne sortait pas maintenant de sa chambre de matières et de nuit humide, il risquait d’être empêché. Le berceau pouvait se calcifier autour de lui. La mère était ponctuelle de tempérament. Cette première contrariété de ce petit qui tardait, c’était un premier affront qu’elle saurait lui faire payer le moment venu.
Une canicule de Sirius
Misère ! mon éditeur qui me rappelle ; et je sais très bien pourquoi : « allô Anna ! Alors, ce roman, vous en voyez la fin ? »
C’est bon, je décroche pas.
Ben non, évidemment, qu’il avance pas ; il fait aussi chaud que dans le frifri de Cléopâtre, actuellement, dans le Gers ! Mes mains sont en alerte sécheresse et ça m’empêche d’écrire. Donc, je reprendrai mon stylo quand elles auront récupéré le taux d’humidité d’une cave à cigares parce que l’écriture, c’est 90% de sueur. En plus, vu l’à-valoir tout maigrichon qu’il va me proposer, je sais déjà que j’ai plutôt intérêt à matcher un ventilo sur Tinder si je veux qu’un élément masculin arrive à me donner du plaisir aujourd’hui.
Le jour de la marmotte
Lundi : tel un minable Jean-Claude Dusse éternellement à deux doigts de conclure, tu découvres, au moment d’achever l’écriture de ton roman, la quatrième dimension qui en fera tout le sel à la condition d’y introduire de nouveaux chapitres.
Pastiche par temps bleu, pastiche délicieux #1

Je suis né le 10 mars 1951 à l’hôpital LARIBOISIÈRE au 2 de la rue Ambroise-Paré, dans le dixième arrondissement de Paris. Il faisait un doux soleil de fin d’hiver si j’en crois les photos que j’ai pu regarder dans les coupures des journaux trouvés dans les affaires de ma mère. J’avais douze ans la première fois que je les ai eues entre les mains. Ma mère, qui à cette période était déjà brouillée avec ma tante, si je me rappelle bien l’attitude étrange qu’elle avait quand quelqu’un de la famille —ou plus précisément de ceux qui avaient survécu, venait à parler de sa sœur en sa présence. Je n’ai jamais pu en connaître le motif malgré mes recherches attentives. Je me rendais bien compte que je ne savais pas grand-chose sur cette femme dont le fantôme me tourmentait quand je n’avais pas de réponses à son sujet et je me reprochais déjà à l’époque mon manque de pugnacité. Qu’aurais-je bien pu apprendre sur cette partie de mon arbre généalogique si j’avais davantage insisté auprès de ma mère ?
J’avais douze ans. J’étudiais mon dossier avec le sérieux d’un commissaire. Pourquoi m’intéressais-je au jour de ma naissance à ce moment-là ? Sans doute car je pressentais que ma mémoire allait rapidement me faire défaut. Je voulais collecter et conserver le plus possible de documents.
Il était prévu que ma mère donne naissance à son enfant en Bretagne, dans un petit village des Côtes-d’Armor où elle s’était réfugiée avec son mari qui allait devenir mon père. Son oncle et parrain, Raymond Chevreuse, l’avait réclamée pour un de leurs rendez-vous à son domicile, dans un hôtel particulier près des Champs-Élysées. Il l’avait accueillie avec cette phrase étrange :
— A partir de maintenant, Henri devra « se tenir à carreaux » ; j’ai vérifié les signatures.
Paris. Ma mère se tient debout à l’arrière du tramway. Elle porte ce bébé nouveau dans ses bras, serrée dans la masse des passagers. Personne ne s’est levé pour lui céder sa place. Avais-je conscience de son inquiétude ? Elle rentrait avec moi mais elle ne savait pas encore quel accueil lui serait réservé en rentrant à son domicile, 26, rue des Martyrs de la Gestapo.
Le trajet sera plus confortable dans le train de neuf heures cinquante-six où ma mère, après m’avoir nourri d’un biberon du lait tiré de son sein avant de quitter l’hôpital, s’autorisera à regarder le paysage durant un de mes trop brefs sommeils.
Une pluie faible éraflait la vitre, qui l’amusait par le réseau de ses gouttes roulantes. L’ampoule du compartiment l’éclairait doucement et la rassurait en même temps que je lui tendais un visage paisible.
J’étais un garçon dont le prénom était Patrick. Mes parent en connaissaient-ils le sens ? Ce n’est qu’après l’accident de train qui m’a fait perdre une partie de ma famille que je me suis fait appeler Howard. Le neuf mars mille neuf cent soixante-trois. La veille de mes douze ans. »
(à la manière de Patrick Modiano)