
Je suis né le 10 mars 1951 à l’hôpital LARIBOISIÈRE au 2 de la rue Ambroise-Paré, dans le dixième arrondissement de Paris. Il faisait un doux soleil de fin d’hiver si j’en crois les photos que j’ai pu regarder dans les coupures des journaux trouvés dans les affaires de ma mère. J’avais douze ans la première fois que je les ai eues entre les mains. Ma mère, qui à cette période était déjà brouillée avec ma tante, si je me rappelle bien l’attitude étrange qu’elle avait quand quelqu’un de la famille —ou plus précisément de ceux qui avaient survécu, venait à parler de sa sœur en sa présence. Je n’ai jamais pu en connaître le motif malgré mes recherches attentives. Je me rendais bien compte que je ne savais pas grand-chose sur cette femme dont le fantôme me tourmentait quand je n’avais pas de réponses à son sujet et je me reprochais déjà à l’époque mon manque de pugnacité. Qu’aurais-je bien pu apprendre sur cette partie de mon arbre généalogique si j’avais davantage insisté auprès de ma mère ?
J’avais douze ans. J’étudiais mon dossier avec le sérieux d’un commissaire. Pourquoi m’intéressais-je au jour de ma naissance à ce moment-là ? Sans doute car je pressentais que ma mémoire allait rapidement me faire défaut. Je voulais collecter et conserver le plus possible de documents.
Il était prévu que ma mère donne naissance à son enfant en Bretagne, dans un petit village des Côtes-d’Armor où elle s’était réfugiée avec son mari qui allait devenir mon père. Son oncle et parrain, Raymond Chevreuse, l’avait réclamée pour un de leurs rendez-vous à son domicile, dans un hôtel particulier près des Champs-Élysées. Il l’avait accueillie avec cette phrase étrange :
— A partir de maintenant, Henri devra « se tenir à carreaux » ; j’ai vérifié les signatures.
Paris. Ma mère se tient debout à l’arrière du tramway. Elle porte ce bébé nouveau dans ses bras, serrée dans la masse des passagers. Personne ne s’est levé pour lui céder sa place. Avais-je conscience de son inquiétude ? Elle rentrait avec moi mais elle ne savait pas encore quel accueil lui serait réservé en rentrant à son domicile, 26, rue des Martyrs de la Gestapo.
Le trajet sera plus confortable dans le train de neuf heures cinquante-six où ma mère, après m’avoir nourri d’un biberon du lait tiré de son sein avant de quitter l’hôpital, s’autorisera à regarder le paysage durant un de mes trop brefs sommeils.
Une pluie faible éraflait la vitre, qui l’amusait par le réseau de ses gouttes roulantes. L’ampoule du compartiment l’éclairait doucement et la rassurait en même temps que je lui tendais un visage paisible.
J’étais un garçon dont le prénom était Patrick. Mes parent en connaissaient-ils le sens ? Ce n’est qu’après l’accident de train qui m’a fait perdre une partie de ma famille que je me suis fait appeler Howard. Le neuf mars mille neuf cent soixante-trois. La veille de mes douze ans. »
(à la manière de Patrick Modiano)