Milo et le loup, mon troisième album jeunesse écrit sous mon nom de plume Anne Pym, sortira le 22 septembre à l’école des loisirs – Pastel ; il est illustré par Francesco Pittau.

Milo et le loup, mon troisième album jeunesse écrit sous mon nom de plume Anne Pym, sortira le 22 septembre à l’école des loisirs – Pastel ; il est illustré par Francesco Pittau.
L ‘absence de Juliette avait fait le tour du collège. Deux jours après s’être confiée à Sam, elle ne se présenta pas au premier cours de la journée. Sam comprit en arrivant devant les grilles qu’elle ne reviendrait pas. Il y eut comme un trou noir dans sa tête qui aspira tout, qui emporta avec lui sa chère étoile et qui la dévora. Exactement comme il avait aspiré ses parents à l’annonce de leur mort. Sam s’évanouit devant les élèves qui attendaient le dernier moment pour franchir les grilles.
Une semaine après l’incident, en s’attablant à la cantine à proximité de Sam, on pouvait remarquer qu’il ne touchait pas à la nourriture dans son assiette. Ensuite, il ne fallait pas longtemps avant de voir un de ses voisins de table, par exemple une petite dégourdie à frange haute et langue bien pendue, passer doucement son bras devant lui et échanger leurs assiettes. À la fin du service, tout le monde sortait de table le ventre plein et Sam suivait la cohorte, indifférent à son propre estomac.
Ensuite, les jours du mois d’avril tombèrent lentement, et les kilos de Sam aussi. Une tranche d’ananas frais le matin, quelques flocons d’avoine à midi et un peu de vermicelle dans un bouillon de poule le soir, voilà ce qui était devenu son ordinaire. Sam s’étiolait sous les regards désolés d’Oncle Stéphane et de Tante Fabienne. Allongé sur son lit le plus clair de son temps, il s’évadait en rêvassant sous le plafond badigeonné dont la couleur bleu dragée lui rappelait les yeux de Juliette.
Bien sûr, l’oncle et la tante avaient tout tenté pour le sortir de sa tristesse : ils le couvraient de cadeaux, ils l’emmenaient au cinéma, ils l’invitaient au restaurant… Hélas, en vain…
« Je ne sais plus quoi lui offrir », se plaignit Tante Fabienne un dimanche après-midi en cherchant une idée nouvelle sur Internet.
Oncle Stéphane hocha la tête. Il n’avait pas de meilleur constat :
« Il faut bien admettre que son adoption est un échec : nous ne savons pas protéger Sam d’un chagrin d’amour. Un amour sans importance, pourtant ; une amourette de gosse au début de l’adolescence. À son âge, moi, je tombais amoureux tous les quatre matins ! »
Un grincement les fit sursauter. Ils tournèrent la tête vers la porte du salon… rien !
« C’est le chat qui est allé aux croquettes », supposa Tante Fabienne en poussant un soupir. Ils continuèrent leur conversation à mi-voix.
Sam retira ses espadrilles et s’éloigna avec précaution. Dans sa chambre, il sortit un sac à dos du placard et le remplit du strict minimum. Un saut dans la cuisine pour y ajouter une petite bouteille d’ eau et des biscuits ; une caresse au chat planté devant le frigidaire, puis il enfila ses baskets préférées et un blouson coupe-vent sans manches avant de se faufiler sur la terrasse en se tortillant pour ne pas ouvrir trop grand la porte d’entrée. Il se retourna. À travers la fenêtre et ses rideaux en organza, il pouvait voir les silhouettes de son oncle et de sa tante qui regardaient un jeu télévisé. Sam leur adressa un adieu muet. Il hésita devant le portail mais sa main ne trembla pas sur la poignée. Il réajusta le sac à dos d’un mouvement d’épaules, serra les bretelles dans ses poings et contempla les alentours familiers. Puis il s’éloigna en direction des montagnes.
Extrait d’un roman jeunesse en cours (9-12 ans)
Il est toujours intéressant de voir un éditeur de littérature générale publier un roman jeunesse, qui plus est quand il n’est pas dans son intention d’en profiter pour ouvrir une collection dédiée dans la foulée ; non pas pour la rareté de l’évènement, mais parce que l’on se demande in petto pourquoi il fait une exception à la règle et pourquoi ce n’est pas un éditeur jeunesse qui s’en est chargé. Dans le cas du roman Les Secrets d’Andrus KIVIRÄHK, il se fait que son éditeur en France, Le Tripode, a déjà publié nombre de ses ouvrages et qu’il lui a semblé évident de ne pas écarter ses textes pour la jeunesse.
Andrus KIVIRÄHK est un écrivain estonien, et plus précisément un conteur qui emporte ses lecteurs dans un réalisme magique qui débouche rapidement sur un monde merveilleux où prolifèrent des animaux parfois étranges, à la langue bien pendue. Il promène son humour et son ironie chez les petits comme chez les grands avec une facilité déconcertante.
L’Homme qui savait la langue des serpents l’a fait découvrir largement en France, plus particulièrement en 2014, année où il obtint le Grand Prix de l’Imaginaire du meilleur roman étranger.
Quel accueil fera-t-on à son dernier roman traduit par Jean-Pierre Minaudier et illustré par Clara Audureau ?
Pour le savoir, on peut estimer au départ que les indices sont assez maigres. En effet, les éditeurs jeunesse français (pas tous, mais la plupart), ont depuis de nombreuses années un goût prononcé pour les romans écrits de préférence au présent, plutôt à la première personne du singulier et avec des phrases parfois anorexiques, pour ne pas dire au bord de la cachexie. L’histoire doit être très morale, avec un fait de société médiatisé en guise de sujet principal et surtout, elle doit être racontée à hauteur d’enfant. Mais d’enfant en tranches : en tranches d’enfant de « 3-6 ans », de « 7-9 ans », de « 9-13 ans », de « grands ado » puis de « young adult ». Et, selon les éditeurs et leurs collections, elle doit osciller entre soixante et cent quarante pages. Et ne soyons pas dupes : si le livre est plus volumineux, c’est la mise en page avec 750 signes par page qui le grossit artificiellement. Ou alors, c’est qu’on est tombé sur un tome d’Harry Potter.
Dans Les Secrets d’Andrus KIVIRÄHK, on retrouve certains thèmes qui sont chers à leur auteur : la médication par l’imaginaire et ses effets secondaires potentiellement indésirables, la langue cryptée et une société animale qui flirte avec le bestiaire médiéval.
Sur la quatrième de couverture, voici ce qui est écrit :
« Dans la famille Jalakas, chacun emprunte un passage secret pour rejoindre son rêve en douce. Le petit Siim se glisse sous la table et atterrit au pays des merveilles. Sa grande sœur, Sirli, prend l’ascenseur et grimpe jusqu’au pays des nuages. La mère passe par une porte cachée qui mène à son château royal. Le père, quant à lui, sort par la porte arrière de sa voiture et déboule sur un stade gigantesque. En dehors de leur cachette, les membres de cette joyeuse famille mènent une vie tranquille. Mais il arrive que certains rêves prennent le pas sur la réalité, et alors plus rien ne tourne rond… »
Et l’on n’est pas déçu : ceux qui ont aimé Les contes de Ionesco y retrouveront une tendresse loufoque et un humour déjanté qui s’apparentent un peu à l’esprit d’Eugène — ou bien, pour citer des auteurs plus contemporains, à ceux de Roald Dahl, de Pierre Barrault ou d’Éric Chevillard, quoiqu’en moins baroque et plus foisonnant. Les illustrations, étonnantes et en cela conformes à l’ambiance de l’histoire, font penser aux illustrations d’Etienne Delessert ou de Josef Lada — dessinateur tchèque de la première moitié du XXe siècle.
C’est l’histoire d’une famille, donc, qui a du mal à supporter la réalité si elle ne peut pas lui échapper de temps en temps, puis de plus en plus souvent. Pour les enfants, rien de surprenant. Mais si, mi-amusé, mi-effaré, l’on observe bien les adultes, l’on peut mesurer la difficulté qu’il y a à vivre sans avoir assumé ses rêves de jeunesse. C’est l’histoire d’un père très moyen qui ne sait pas emmener son fils à la pêche, d’une mère qui n’est pas pressée de rentrer s’occuper de son foyer, d’un voisin acariâtre qui ne sait pas rêver alors qu’il est écrivain, d’un concierge cossard comme un loir, et c’est l’histoire de deux enfants qui vont apprendre à grandir malgré les faiblesses de leurs parents mais aussi grâce à elles.
« Le soir, toute la famille regardait la télévision.
« Qu’est-ce qu’il leur prend de passer de telles âneries ? » demandait le père avec impatience, car il aurait volontiers changé de chaîne pour regarder une course automobile.
« Ça n’a ni queue ni tête !
— Un film, ça n’a pas à avoir de queue », renâcla Sirli, mais Siim se rangea du côté du père et dit qu’il aimerait bien voir un film avec une tête et une queue, et puis des cornes, aussi, et qui ressemblerait au diable.
« Ça te ferait peur, affirma Sirli, méprisante. Tu es trop petit ! »
Siim se mit en colère.
« T’es folle ! complètement folle ! J’ ai peur de rien, moi.
— Cet été, au parc d’attractions, tu avais peur. Tu te rappelles la maison hantée ? Tu criais comme un possédé.
— J’avais mal à la jambe. C’est pour ça que je criais. J’avais pas peur !
— Pourquoi tu mens, c’est quoi cette histoire de jambe ? T’étais pas tombé, ni rien. T’avais peur, c’est tout !
— Arrêtez de vous disputer ! » gronda la mère, et Sirli répliqua qu’elle ne voulait même plus parler avec son frère, que c’étaient lui et le père qui avaient commencé avec cette histoire de queue et de cornes au lieu de la laisser regarder tranquillement la télé. C’était l’heure d’un super feuilleton qui racontait la vie d’un maître-nageur, et l’acteur qui jouait le rôle principal lui plaisait énormément. Comme à toutes ses copines de classe. Elles collectionnaient ses images et ses posters, Sirli en avait plusieurs aux murs de sa chambre. Siim se souvint de leur existence et sortit de la pièce avec un sourire en coin.
Le père s’étira et dit :« Je vais me coucher.
— Déjà ? s’étonna la mère.
— Oui, demain je me lève à quatre heures pour regarder le foot. »
« Complètement cinglé », pensa la mère, mais Siim revint dans le séjour, le visage rayonnant, contenant difficilement sa joie, en disant que lui aussi voulait regarder le foot cette nuit.
« Toi ? S’étonna la mère. Mais qu’est-ce qui te prend ? La nuit, les enfants, ça dort ! »
Et c’est là toute la force d’Andrus KIVIRÄHK : nous plonger dans un monde de perdants magnifiques, nous entraîner dans leurs errances et leur folie douce avant de nous tirer vers le haut, afin de nous dire : «voyez comme les apparences sont trompeuses et comme tout change quand on accepte de changer de paradigme. »
« En ressortant, Siim et Sirli virent que monsieur Mouton avait fini par attraper le concierge. Il se plaignait de la saleté de la cage d’escalier et des pannes d’ascenseur, mais le concierge, au lieu de répliquer, se contentait de tordre doucement sa veste trempée.
« Vous pourriez répondre ! criait monsieur Mouton. Vous comprenez ce que je suis en train de vous dire ? À quoi ça sert, un concierge qui ne fait pas son boulot ? Est-ce qu’il va falloir que je prenne le balai moi-même ? Ce n’est pas mon travail. Je suis écrivain, moi !
— Je vais tout arranger, grommela le concierge. Il ouvrait et fermait la bouche comme un poisson échoué sur la rive et tentait de se rapprocher de la cage d’escalier, mais monsieur Mouton le tenait par la manche :
« Où est-ce que vous courrez comme ça ? En voilà une grossièreté! Et puis qu’est-ce que c’est que ces habits trempés ? Bon Dieu, votre pantalon dégoutte carrément ! »
Il lâcha le concierge et s’essuya les mains avec soin.
« Dégoûtant ! Dans quoi vous êtes-vous trempé ?
— C’est de l’eau de mer, répondit humblement le concierge.
— De l’eau de mer ? Vous êtes allé vous baigner tout habillé ? Et en plein automne ? »
Il secoua la tête et regagna l’immeuble en frémissant de colère.
« Ce concierge est en train de perdre la raison ! Il faut le surveiller pour l’envoyer à l’asile avant qu’il se mette à attaquer les habitants de l’immeuble et à casser les carreaux. »
Siim et Sirli s’approchèrent du concierge et lui dire bonjour.
« Tu vas te mettre au ménage ? demanda Siim. Dommage, on pensait venir te rendre visite.
— Moi, faire le ménage ? Pas question ! Il faut que je me remette à l’eau tout de suite, sinon je vais m’asphyxier. Mais venez donc ! »
Il se précipita vers l’immeuble, Siim et Sirli sur ses talons. Ils entrèrent dans le local à balais et se retrouvèrent dans l’eau, à écarter des poissons qui tentaient de faire des bisous au concierge.
« Mais oui, mais oui, mes mignons ! Me revoilà ! Laissez-moi ! Vous aurez du sucre ! »
Il prit dans sa poche une poignée de morceaux de sucre et les offrit aux poissons. Tandis qu’ils mangeaient, il les caressait et leur grattait l’entre-nageoires.
« Braves petites bêtes !
— On retourne voir l’épave ? » Demanda Sirli. »
Quand Sam Burdel vivait chez son oncle et sa tante, il connut une période vers l’âge de treize ans qui changea le cours de son avenir.
Un matin d’avril, où comme à son habitude, Sam faisait cuire des pancakes aux œufs et au mascarpone, la porte de la cuisine s’ouvrit au moment où il glissait les petites galettes dans une boîte à tartines pour les emporter. « Euh… et nous, Sam, on est punis ? »
Oncle Stéphane et Tante Fabienne faisaient souvent irruption dans la cuisine quand il préparait son goûter pour le collège. Sam éclata de rire :
« Dites donc, vous deux ! Vous n’avez pas l’impression que c’est aux parents de nourrir leurs enfants, et pas l’inverse ? Non mais, sérieux ! Quand est-ce que vous allez apprendre à faire à manger ? »
L’oncle et la tante baissèrent la tête, faussement contrits dans leurs peignoirs verts à fines rayures.
Sam avait sept ans quand ses parents moururent dans un accident d’avion. Ils étaient chefs cuisiniers et voulaient ouvrir un second restaurant de l’autre côté de l’océan Pacifique, dans un coin perdu de l’Australie.Oncle Stéphane et Tante Fabienne étaient pour leur neveu de bons parents adoptifs malgré leur incapacité à faire cuire ne serait-ce que trois nouilles dans de l’eau salée. Au contraire, Sam avait hérité du talent culinaire de ses parents et l’avait développé très jeune dans leur premier restaurant, quelque part dans le sud-est de la France.
Bon… Tout cela est d’une grande tristesse, mais il est temps d’aborder la suite de cette histoire.
Quand Sam arrivait enfin devant les grilles du collège Ada Lovelace, vers 7 h 45, il avait le sentiment d’entrer d’abord dans le regard de son amie Juliette Izzo. Elle était toujours demi-assise sur le muret qui soutenait le grillage. Un franc sourire envahissait son visage inquiet à chaque fois qu’elle l’apercevait enfin. Sam se sentait alors plus vivant, plus important, parce que les yeux de Juliette lui faisaient l’effet de deux soleils qui se lèvent. Ils étaient clairs et profonds et lui décortiquaient le cœur comme une mandarine un matin de Noël.
« Salut Sam, cool, ton nouveau pantalon. Très stylé ! »
Sam n’osa pas lui répondre franchement. Les seuls collégiens qui osaient afficher leur amour devant tout le monde était un couple de « grands », des Troisième qui se prenaient déjà pour des lycéens. Il lui chuchota tout de même entre ses dents :
« Je t’ai fait des pancakes pour la récré. »
Les yeux de Juliette s’allumèrent à nouveau ; cette fois, on aurait dit des lucioles au fond d’un bois après minuit.
« OK, rendez-vous sous le préau ! »Puis elle s’assombrit et elle ajouta :« Mais j’aurai aussi un truc pas marrant à te dire. »
La sonnerie retentit ; ils se séparèrent pour rejoindre leurs classes respectives. Sam se dirigea vers la sienne avec un mauvais pressentiment. De quoi Juliette voulait-elle lui parler ?
Le cours de Maths passa comme dans un rêve. Sam calculait sans broncher des aires et des volumes mais à la fin de l’heure, il oublia de noter sur son agenda qu’il aurait une évaluation la semaine suivante.
Une pluie épaisse martelait le toit. Les élèves se pressaient sous les préaux et bien sûr les quelques bancs étaient pris d’assaut. Sam extirpa la boîte à tartines de son manteau. Il l’ouvrit devant une Juliette qui se servit en gardant le visage fermé. Les mots banals qu’ils échangèrent d’abord se perdirent dans le brouhaha des élèves et de l’averse. Juliette était distante et mangeait son pancake avec indifférence. Bon sang ! Qu’avait-t-elle de si problématique à lui dire ?
En mastiquant la dernière bouchée elle prit enfin la parole :
« Sam… c’est la cata’… J’arrive même pas à t’en parler tellement c’est énorme. J’ai les boules, tu peux pas savoir ! »
Le Sam en question, qui était déjà très blond avec un visage très pâle, réussit pourtant à devenir encore plus pâle. Il était carrément blanc comme une trace de craie sur un tableau noir. On avait fait du mal à sa Juliette, c’était sûr et certain !
« Tu peux tout me dire, Juliette (il voulait dire » mon cœur » mais c’était « Juliette » qui était sorti à la place). Quelqu’un t’a embêtée, c’est ça ? »
Juliette esquissa un pauvre sourire malgré sa mine défaite. Elle lui répondit avec une petite voix :
« Non, ce n’est pas ça ; voilà… j’ai un grand frère… »
Sam haussa un sourcil.« Je n’en parle jamais parce que je l’ai peu connu. Nous avons quinze ans d’écart et il a quitté la maison quand il en avait seize, autant te dire que nous n’avons pas grandi ensemble. »
Puis elle regarda au-delà des toits de l’école, et Sam suivit son regard comme si ce qu’elle allait dire ensuite était inscrit dans les nuages. Il choisit de garder le silence pour mieux accueillir ses prochaines paroles.
« Ce grand frère n’est pas quelqu’un de bien, malheureusement. Il avait fait des bêtises plutôt graves il y a quelque temps, et il s’était enfui pour échapper à la Justice. Mais elle l’a retrouvé récemment. Aujourd’hui, il est en prison. Mes parents souhaitent se rapprocher pour lui faire des visites régulières. Nous avons longuement discuté tous les trois et nous souhaitons couper les ponts avec toutes nos connaissances.
« NON, JULIETTE ! PAS NOUS ! »
Sam avait hurlé malgré lui.
« Si. »
Sam ne trouva rien à répondre. Était-ce à cause du front buté de Juliette, ou bien de ses yeux qu’elle détournait à présent pour lui montrer qu’elle mettait un terme à leur histoire d’amour maintenant, cela de manière irrévocable ? Ou bien parce qu’une partie de Sam, dévastée à jamais par la perte de ses parents, se résignait déjà, sachant un éventuel combat perdu d’avance ?
La fin de la récré avait sonné depuis une minute et la foule des élèves refluait vers les portes des entrées à la manière d’une marée qui fiche le camp au galop.
Il se produisit quelque chose d’étrange dans le ventre de Sam ; comme si chacune de ses entrailles était une cellule de prison et que chacune de ces cellules avait une grille qui apparaissait devant elle pour se verrouiller aussitôt. Sam devenait lui aussi un prisonnier.
Le prisonnier d’une prison mentale.
Extrait d’un roman jeunesse en cours (9-12 ans)
Vous pourrez lire ma participation à la page 88, sous mon nom d’auteur jeunesse — Anne Pym.
Soit en vous le procurant chez votre libraire, soit en le téléchargeant sur le site de l’École des Loisirs.
Dans la période de grandes difficultés sanitaires et d’incertitudes économiques totalement inédite que nous traversons, répondre aux besoins profonds de culture et de lecture est essentiel. Face aux mutations et aux incertitudes de notre société, notre conviction d’éditeur indépendant, mais aussi de libraire, est que notre rôle est d’aider chacun à mieux comprendre, par la lecture, les enjeux actuels, de contribuer à développer l’esprit critique, mais aussi de montrer le beau car le monde du langage reste le meilleur rempart contre les peurs et la violence.Nous avons la chance d’avoir en France un réseau de librairies qualifiées particulièrement dense que la loi sur le prix unique du livre a contribué à préserver, mais que les mesures de confinement ont fragilisé. C’est pourtant grâce à celles-ci et aux indispensables passeurs de livres qui les animent que notre engagement dans le combat pour la solidarité sociale, éducative et culturelle peut, chaque jour, se concrétiser. Mettre à la disposition du plus grand nombre de lecteurs les œuvres des meilleurs auteurs, miser sur la qualité et la durée guide donc plus que jamais les choix de notre maison.Voici quelques années, l’école des loisirs diffusait gratuitement à plus de 350 000 exemplaires un manifeste dédié aux enfants, Lire est le propre de l’homme. Ce livre, toujours disponible, réunissait les témoignages et réflexions de cinquante auteurs de livres pour la jeunesse qui faisaient l’éloge de la lecture et de l’éducation à l’esprit critique – de l’enfant lecteur au libre électeur.Notre maison d’édition a toujours soutenu à la fois la création et les libraires, nos partenaires historiques. C’est donc dans cet esprit et avec la même démarche exigeante que nous vous offrons aujourd’hui le recueil Vivons livres !Près de soixante auteurs – ce sont eux qui en parlent le mieux – y partagent leur amour de la librairie, « cave aux trésors », « espace de liberté », « sloop, brick ou goélette », « île où les paysages varient sans cesse », et disent en mots ou en images l’importance des échanges avec leurs libraires, ces « arpenteurs », « chasseurs de mots » et « magiciens » qui sont notre « famille » et qu’heureusement aucun algorithme ne saura jamais remplacer.
Louis Delas
Voici, pour mes jeunes lecteurs, l’enregistrement audio du premier chapitre de Philibert, l’ami invisible. C’est un roman jeunesse encore inédit dans lequel Philibert, une créature imaginaire, est apparu dans la vie de Charline quand elle a exprimé très fort le souhait d’avoir un petit frère.
De multiples aventures les attendent, car Philibert a une mission à accomplir.
Un jour d’avril, Koumi se promène dans un dessin de printemps. Il en est si content qu’il chante à tue-tête
Alice de Poncheville, « Nous, les enfants sauvages » — éd. l’École des Loisirs (collection Medium) — 2015
J‘ai découvert l’écrivaine Alice de Poncheville il y a une poignée d’années dans un salon du livre. je ne sais plus si je m’y trouvais en tant qu’auteure invitée ou bien si j’aidais là des libraires à « tenir le stand », mais je me souviens bien de ma rencontre avec elle, Alice.
Avez-vous déjà eu un coup de foudre sur un prénom, un port de danseuse, une voix grave, un pli nasogénien ? Moi, oui. Un coup de foudre prémonitoire. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Je me suis emparée mécaniquement des livres en majesté sur les piles et je suis rentrée à la maison avec quatre ou cinq de ses œuvres. Que je me suis empressée d’oublier par manque de temps puis par manque de visibilité car j’ai la manie de ranger au fur et à mesure les livres que j’achète dans les rayonnages de ma bibliothèque pour le plaisir de fureter avant de les retrouver. (Quoi ? oui, bien sûr que je lui ai parlé. Mais la timidité me faisant souvent imiter le cri de la patate écrasée, mes rares grommelots se sont écrasés au sol.)
Ses livres, donc, disais-je, sont restés à l’auberge de la tranche tournée pendant quelques mois. C’est en cherchant une nouvelle lecture à démarrer que je suis tombée à nouveau sur ses livres issus des collections Mouche, Neuf et Medium de l’École des Loisirs. Je lis le premier : enchantement. Le second : jubilation. Et ainsi de suite. Nom de Dieu, mais quelle ânesse je faisais ! j’avais un trésor à domicile et ne le savais pas. Je détenais un magot à mon insu et je pouvais y accéder sans carte ni pendule.
C’est d’autant plus précieux pour moi que je suis affligée d’un handicap : la littérature jeunesse du XXIème siècle me parle moyennement. Je devrais sans doute le dire de façon moins abrupte, mais c’est la vérité, et c’est autant ennuyeux que pour un musicien de souffrir de misophonie. Du coup, ces livres me font tous globalement le même effet et j’ai l’impression d’y trouver toujours les mêmes thèmes de société avec les mêmes éléments langagiers et la même syntaxe. Les phrases sont courtes avec à peine assez de place à l’intérieur pour un « sujet-verbe-complément », le temps de narration est systématiquement au présent de l’indicatif, et il faut croire que les petits lecteurs d’aujourd’hui sont plus égocentrés que leurs aînés, puisque les éditeurs semblent affirmer avec leurs publications que cette jeune génération comprend le sens d’un texte uniquement si le personnage principal est désigné par un pronom personnel à la première personne du singulier. « Je m’appelle Machin.e. J’ai 7/9/12 ans. Mon petit frère a un cancer. Maman fait des ménages pour compléter son R.S.A. Papa a un petit copain. Ma prof a une haleine de poney. Je pète des fois sous la douche et mon meilleur ami veut monter un bar à sushis en Pennsylvanie. Miroir, mon beau Narcisse… Je caricature, certes, mais vous voyez de quoi je parle.
Heureusement, par intermittence, je m’enivre de bonheur en lisant des exceptions comme Éric Pessan, Marie Chartres, Olivier de Solminihac, Florence Seyvos, Nathalie Kupermann, Christian Oster et, donc, Alice de Poncheville.
Poncheville a une écriture naturaliste, poétique et musicale. En France, nous avons deux catégories d’écrivains qui fusionnent peu souvent : celle des conteurs et celle des stylistes. Comme si les fées se montraient parcimonieuses au-dessus de leur berceau à la naissance de leurs tapuscrits. Poncheville, elle, n’a pas reçu le don. Elle est née avec. Magicienne, guérisseuse, sourcière, ses potions et ses formules font mouche dans « Mon Amérique », « Je suis l’arbre qui cache la forêt » ; « La fille du loup maigre » ; « Le hêtre vivant » ; « Le don d’Adèle », etc.
Son dernier roman, Nous, les enfants sauvages, trouve le moyen d’être encore mieux abouti. C’est l’histoire d’enfants perdus, d’orphelins, thème que l’on a adoré lire sous les plumes d’un Dickens ou d’un James Matthew Barrie au siècle dernier. Les enfants de Poncheville pourraient leur ressembler, mais ils sont du XXIème siècle et par conséquent ils évoluent dans une dystopie écologique car voyez-vous, ils doivent se colleter avec les problématiques de leur époque.
Voici le synopsis proposé sur le site de sa maison d’édition :
« Une fois la drôle de bête glissée dans son sac, Linka songea qu’elle allait peut-être s’attirer de gros ennuis. L’article 1 était explicite : toute personne en contact avec une vie non humaine devait l’éliminer. C’était ainsi depuis que l’épidémie de PIK3 avait décimé la population et provoqué l’abattage de tous les animaux du pays.
Non humaine, la bête l’était assurément, mais de quel animal s’agissait-il ? Même dans les vieux documentaires animaliers qu’on leur montrait à l’orphelinat, Linka n’avait jamais croisé ce drôle de poisson aérien qui changeait de forme à volonté. Elle l’avait appelée «Vive » et, malgré la surveillance constante dont elle faisait l’objet, la jeune fille était parvenue à la cacher.
Avec Vive à ses côtés, Linka se sentait étrangement plus forte et capable d’affronter les menaces qui l’entouraient : Mme Loubia et le professeur Singre, prêts à« reconditionner » Linka au moindre faux pas ; les Brigades vertes et les Fantassins, toujours à l’affût des déserteurs et des rebelles ; et ce mystérieux Docteur Fury, un vagabond qui cherchait à récupérer Vive… »
L’auteure menace le lecteur d’un avenir très plausible. Par conséquent, il s’approprie immédiatement l’histoire de Linka en la faisant sienne page tournée après page tournée. Cette histoire a commencé « dans le aujourd’hui » du lisant et la catastrophe se produira « dans son demain ». Ce texte est politique dans le sens étymologique du terme, écologique et délicieusement subversif. Il est un appel discret à la désobéissance et à la révolution par la jeunesse.
L’agroalimentaire, les élevages intensifs et les phytosanitaires ont conduit par les abus délétères des entreprises et de l’État à la propagation d’un virus qui a décimé la population. Le gouvernement a fait enfermer les orphelins dans des Maisons des Enfants numérotées et décimer toute vie animale pour endiguer la contamination. De nouveaux emplois ont été créés pour s’adapter à cette destruction massive.
Les enfants sont dressés à obéir sans esprit critique, sans culture, sans mémoire, sans histoire, sans amour. Il faut toute la douceur et la pudeur de la plume de Poncheville pour en être bouleversé sans qu’elle ait recours à l’hyperbole ou d’autres formes de démonstration excessives, ce qui empêche le lecteur de mettre une distance et l’implique corps et âme dans cette magnifique aventure qui est aussi un précieux roman d’apprentissage.
Linka, en rencontrant Vive (= vivere), va découvrir sa part animale et la force et le potentiel de tous les animaux. Elle va commencer à désobéir puis à entrer en résistance depuis l’intérieur, sans savoir que des groupes souterrains ont démarré la révolte en organisant une société parallèle qui ouvre les yeux des enfants se joignant à eux.
« Tandis que Linka reprenait son souffle, Vive frissonna, fit volte-face et vint se coller dans le dos de Linka. Une chaleur étonnante coula alors le long de sa colonne vertébrale puis dans tous ses os, jusqu’au bout de ses mains et de ses pieds. Sa vision changea brutalement, les herbes grossirent, les mouches quadruplèrent de volume, le pré sembla s’élargir. Ses membres prirent une force qu’elle ne soupçonnait pas. Son cou bougea puissamment comme l’encolure d’un cheval. L’air pénétrait dans ses narines, les transformant en naseaux frémissants. Linka huma les odeurs variées des herbes, toutes plus délicieuses les unes que les autres. Les muscles de ses cuisses se tendirent et, d’une détente, ils la propulsèrent à deux mètres. Linka frémissait comme un cheval, pensait comme un cheval, elle était même tout entière devenue cheval. Un cheval longtemps endormi sous sa peau s’éveillait dans son corps de jeune fille. (p.114-115) »
Sa petite sœur Oska est de ceux-là, qui va rejoindre un groupe de résistants et exprimer pleinement son goût pour la flore et ses vertus thérapeutiques. Leur ami Milos, troisième héros et témoin de cette histoire, est le personnage que Poncheville a affligé du conflit de loyauté digne de ceux que vivent tous les enfants. Il tardera à ouvrir les yeux et c’est son héritage familial avec son lot de « vérités » qui l’aideront à faire des choix et à prendre sa place.
L’importance de connaître l’Histoire et de connaître son histoire, la transmission par les anciens (avec leur éthique et leur secours), savoir d’où l’on vient et partant de là quels choix opérer est également un des moteurs et une des clés de ce roman dont le suspense et les aventures intimes aussi bien que politiques des trois jeunes héros raviront aussi bien les adolescents que les adultes.
***
Ce qu’ils en disent :
Ça les embête
Mais comment faire
Pour se laver
Sans faire trempette ?
La première est très touchée
Et se frotte avec ardeur
De la calotte jusqu’au bec
À un gros éclat d’écorce
Tombé de la branche
D’un noyer.
La seconde, juste effleurée
S’offre au souffle d’un enfant
Qui fait tourner
Mieux que le vent
Une éolienne chamarrée.
C’ est le crachat
D’un gros chat
Qu’elles ont reçu
Sur la tête
Un matou vieux et lent
Qui ne chasse plus
Qu’en tremblant.
Alors il guette
En haut des arbres
À l’affût du moindre oiseau
Et fait pleuvoir des postillons
Qui touchent parfois
Des oisillons.
Poésie jeunesse, extraite du recueil « Comme un coup de patte sur la truffe »
Cet album jeunesse sort le 23 novembre dans les librairies. Il est publié chez Gallimard dans la collection « Giboulées », et c’est Chiaki Miyamoto qui a eu la gentillesse de bien vouloir l’illustrer.