« C’était un matin redevenu calme en apparence. On apercevait encore la demi-lune derrière les branches du noyer que le vent de la nuit avait délestées de leurs fruits dans un martèlement anarchique sur le toit de la véranda.
Son visage, dans la glace éclairée d’une loupiote, lui montrait les stigmates du manque de sommeil. Romane farfouilla dans sa trousse en évitant de heurter son rasoir et en sortit un rouge à lèvres de couleur fuchsia qu’elle appliqua du bout de son index pour un effet bouche mordue. Cette dernière touche équilibrait l’ensemble de son maquillage derrière lequel on ne devinait plus son début de migraine.
Elle sortit de la salle de bains, retourna dans sa chambre pour fermer la fenêtre et prendre un Doliprane 1000 dans sa table de nuit. Un verre trônait sur son plateau depuis longtemps. Elle goba la gélule, la gratifia d’une gorgée de son eau stagnante et eut aussitôt la sensation que cette petite fée ouatait déjà la raideur dans sa nuque et les pulsations à sa tempe. Dans son empressement, elle avait laissé échapper un filet d’eau sur ses lèvres, gâchant ainsi l’effet bouche mordue. Dans un instant, elle pourrait apprécier le changement sur sa figure avec l’éclairage normal de la salle de bains, supporter la lumière du jour sans plus de gêne ou recevoir un fond sonore si cela lui chantait.
Elle n’aimait pas quitter la maison si tôt. Elle n’aimait simplement pas sortir pour de si longues heures. Quand Jules avait débarqué, trois mois en arrière, avec ses bières brunes et ses poches trouées, elle avait changé son mode de vie et préféré louer un cabinet en ville.
Romane sortit sans avoir rien rangé et s’assit au volant de sa vielle voiture. Un coup d’œil, en démarrant, sur les fenêtres de sa voisine la plus âgée — volets relevés, le signe qu’elle était encore parmi les vivants, et elle roula vers la ville en ouvrant la radio sur le Believer des Imagine Dragons.
Pain ! you break me down, you build me up, believer, believer ! »
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Le dimanche 22 mai 2022 à 11 h, je célèbrerai les noces du vin et de mon roman Villebasse en compagnie d’un vigneron du Gaillacois pour Livresse des Mots (à Castelnau-de-Montmirail), sous la houlette du journaliste Brice Torrecillas qui nous posera moult questions pour vérifier que je ne suis pas beurrée comme une tartine, car c’est dans le tanin, n’est-ce pas, que l’on reconnaît ses amis.
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Quais du Polar mettra cette année en avant ses découvertes et ses coups de cœur à travers un nouveau label, les « PÉPITES DES QUAIS ». Depuis ses débuts en 2005, le festival a vu émerger de nouveaux auteurs et nouvelles autrices, encouragé le développement du polar français à travers des programmes à l’étranger et son Prix des Lecteurs Quais du Polar / 20 Minutes, mis à l’honneur de nouveaux types d’écritures, accompagné l’émergence de nouvelles plumes, de nouveaux genres dans le polar, de nouvelles maisons d’édition et de nouvelles collections. Parce que Quais du Polar reste par-dessus tout un festival de découvertes, toute l’équipe propose donc sa sélection de « Pépites », des auteurs et autrices à suivre et à découvrir de toute urgence cette année sur le festival :
Lien ici
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Retrouvez mon interview dans le portrait du jour de 𝐂𝐮𝐥𝐭𝐮𝐫𝐞 𝐞𝐭 𝐣𝐮𝐬𝐭𝐢𝐜𝐞, le site administré par Philippe Poisson et Camille Lazare, tous deux membres de 𝐂𝐫𝐢𝐦𝐢𝐧𝐨𝐜𝐨𝐫𝐩𝐮𝐬, musée numérique dédié à l’histoire de la justice, des crimes et des peines :
Des personnages de mon roman Villebasse ont tenu à m’interroger eux-mêmes, probablement pour régler leurs comptes, je ne sais pas bien, je n’ai pas tout à fait compris leurs intentions derrière les questions suivantes, parfois inattendues :
Rose Mandel
« Pourquoi m’as-tu créée dans un roman aussi sombre ? Ton histoire se situe dans un bled paumé, ça se passe en plein hiver, sous la neige, et pour couronner le tout tu m’as placée dans une famille éclatée qui pue à plein nez le redneck et la névrose. Vous, les écrivains, avez tous les pouvoirs ; de vrais petits démiurges ! Alors pourquoi ne m’as tu pas mise dans un contexte plus favorable ? Je suis quoi, ton double de papier, ton avatar ? Tu voulais te venger de quelqu’un à qui tu en veux personnellement, c’est ça ? »
Anna de Sandre
« je m’attendais à cette confrontation avec un témoin à charge, mais je ne m’attendais pas à toi, Rose. Sache — mais je crois te l’avoir déjà dit — que je n’écris jamais d’autofiction. Je ne tiens pas même de journal intime, contrairement à toi. J’écris pour raconter des histoires et rien de plus. Je confesse décrire le monde tel qu’il va, et il ne va pas très bien en ce moment, tu l’auras sans doute remarqué. J’aime faire de la littérature avec les personnages d’un Erskin Caldwell ou d’une Flannery O’Connor plutôt que d’un Scott Fitzgerald, parce que leurs vies sont plus romanesques ; peu importe qu’elles soient proches ou non de la mienne. J’entends ton ressentiment, mais tu ne sauras pas m’émouvoir car je te rappelle que tu es un personnage de fiction ; cela signifie que tu prends vie quand un lecteur ouvre Villebasse et qu’il pose les yeux sur toi, et que tu meurs à chaque fois qu’il le referme. »
Le Chien
« J’ai un rôle déterminant dans Villebasse (j’en profite ici pour te remercier de cette importance que tu m’as donnée) : je fais le lien entre tous les personnages et j’ai une terrible mission à accomplir. À ce propos, d’ailleurs, je remarque que c’est moi qui fais le sale boulot à la place des hommes, dans ton roman. C’est pourtant vous qui avez inventé la justice, non ? Alors, à quoi ce choix est-il dû… à un excès de morale de ta part ? À part ça, je trouve que tu as très bien mis en valeur mon animalité dans ton texte — même si je trouve que m’appeler sobrement « Le Chien » est impardonnable (davantage que « Lucky » ou « Chaussette », par exemple) ; puis-je en déduire que le chien est ton animal préféré ? »
Anna de Sandre
«Il me semble que tu n’es pas doté de la parole, dans Villebasse. Et pour cause, je ne suis pas une fan de l’anthropomorphisme débridé de notre époque. Donc commence par retourner dans ton panier, ce canapé en cuir m’a coûté une blinde… voilà, merci. Ensuite, pour répondre à ta question, oui, je le confesse : je t’ai honteusement instrumentalisé pour exécuter les pires besognes et pour tisser une trame cohérente autour des nombreux personnages du roman.
J’ai un reste d’épaule d’agneau dans mon frigo. Tu le veux en guise de remerciement ?
Et pendant que tu te régales, j’en profite pour te détromper : la vérité est que je n’aime pas trop les chiens. Vois-tu, je préfère les chats. Comme la plupart des écrivains, oui ; j’étais sûre que tu répondrais ça. Mais je n’ai jamais prétendu être originale, tu sais ! Les chats ont des qualités et des défauts qui nous conviennent à peu près, tandis que vous, les chiens, vous êtes serviles et pots de colle, ce qui vous disqualifie d’emblée. En plus, vous n’êtes pas autonomes, tu parles d’une plaie !
Je t’ai fait apparaître pour me défausser du sujet épineux de la vengeance et pour faire le lien entre les habitants de Villebasse, qui est le personnage principal mais une coquille vide sans les âmes qui la hantent. C’est sans doute pour cela que dans mon roman, tu ne t’attaches à personne bien longtemps et que tu te débrouilles comme un chef.»Jourdan
« Pour ma part, je n’ai pas de question. J’interviens ici uniquement pour te dire que je ne te pardonnerai jamais ce que tu as fait de moi. Un homme battu par son épouse, un employé harcelé par sa hiérarchie, bref ! Un avorton terminé à la pisse. Je te déteste. »
Anna de Sandre
« Tu oublies toute la tendresse avec laquelle je t’ai décrit et tu oublies le rôle formidable que je t’ai fait jouer aux côtés de Le Chien. Je crois au contraire que tu as un beau rôle, dans Villebasse. Tu es même un des personnages les plus lumineux, alors retire ce que tu viens de me dire, s’il te plaît ; tes propos sont injustes. »
Jourdan
« Va plutôt te faire foutre, Anna… »
(entretien à retrouver ici dans son intégralité)
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Villebasse, fait partie des cinq titres sélectionnés par le Prix Calibre 47 qui sera remis au festival de Polar’encontre de la ville de Bon’Encontre au mois de mars.
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Je ferai partie des auteurs invités avec mon roman Villebasse, puisque la ville sera le thème de prédilection de la 18e édition du festival international Quai du Polar à Lyon.
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Je serai avec mon Villebasse les 12 et 13 mars au festival Polar Encontre, et en compagnie d’une brochette de prestigieux auteurs qui plus outre : Jérome Leroy, Benoît Séverac, Victor del Àrbol, etc. Je pourrai tenir ton sac et ton manteau pour la modique somme de cinq euros durant que tu feras une queue interminable devant leurs stands, ou bien je te tirerai les cartes pour dix de plus.
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Jeudi 17 février à 15 h, je serai l’invitée d’Isabelle Fouillet sur Radio Côteaux dans son émission consacrée à la poésie. Un podcast sera probablement disponible à l’issue de l’émission.
Stay tuned ! -
Par le trou de la serrure, Harry Crews – 130 livres
Par le trou de la serrure, Harry Crews – 130 livresUn excellent article d’Antoine Faure, critique littéraire, au sujet du dernier recueil de textes rassemblés par Crews himself, et traduits par Nicolas Richard pour les éditions Finitude.
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« L’hiver avait sorti ce qu’il avait de plus hostile et donnait des airs de fin du monde au quartier sud de Villebasse. La chicheté des lumières, le morne des couleurs et la nonchalance calculée des habitants repoussaient les voyageurs comme un ressac. »
Bienvenue à Villebasse. Dans un lieu imprécis, quelque part au cœur d’une vallée, la ville accueille de mauvaise grâce et rechigne à ce qu’on la quitte. Celles et ceux qui s’y installent semblent condamnés à y vivre le restant de leurs jours. Dans ses rues sombres et froides se croisent les destins boiteux d’hommes et de femmes, d’enfants, dont le seul point commun pourrait se résumer à une cruelle absence d’avenir. Éclairée par les halos de deux lunes, Villebasse devient un petit théâtre où se jouent la vie et la mort sous l’œil inquiétant du dernier arrivant : Le Chien.
Bienvenue à Villebasse, dont Anna de Sandre nous parle ci-dessous dans un entretien qui apportera quelques éclaircissements bienvenus à la lecture du roman. Qu’elle soit ici remerciée pour sa disponibilité et le soin apporté à ses réponses.
Comment naît Villebasse ? Préexiste-t-elle à ses habitants ou aviez-vous d’abord ces personnages en tête ?
Villebasse est un territoire imaginaire qui m’a occupée pendant une longue période. Peu urbanisé, pauvre en services publics et entouré de nature sauvage, il est perdu dans une sorte de Pampa française, c’est-à-dire avec des bocages et des forêts. Cette inversion était étrange à éprouver dès le départ : Villebasse était le personnage à part entière et mon esprit était son lieu de résidence.
J’ai déménagé souvent, cela dès mon plus jeune âge ; ce qui a trait au déracinement et à l’enracinement m’intéresse en conséquence. Un de mes voisins, qui est retraité, vit aujourd’hui dans une maison à trente mètres de sa maison natale et n’a jamais voyagé. Cette promiscuité géographique, que j’interprète comme émotionnellement protectrice, me fascine.
Mes personnages me hantaient simultanément, sans lieu géographique précis. Quand j’ai réalisé qu’ils évoluaient dans un territoire très rural, ce qu’était Villebasse, je les ai domiciliés dans cette commune. Un lieu est une unité historique, donc politique, c’est un puissant moteur romanesque ; il influence et détermine souvent le destin de ses habitants. D’ailleurs, on change parfois de territoire dans l’espoir d’améliorer sa vie.
Cependant, l’époque actuelle oblige la population à vivre une sorte de nomadisme professionnel, un peu à l’américaine, à cette différence près que les Français ne vivent pas dans des mobil-homes. C’est un facteur supplémentaire du déclassement d’une partie de la population.
Toutefois je suis écrivaine, pas sociologue. Ce qui m’intéresse, c’est de raconter des histoires. J’ai donc eu l’envie de décrire un lieu que ses habitants avaient de la difficulté à quitter parce qu’ils n’en avaient pas forcément les moyens matériels et émotionnels, mais aussi parce que Villebasse les retenait, telle l’allégorie d’un fatum.
« Ce qui m’intéresse, c’est de raconter des histoires » . Si Villebasse est un roman, il n’en reste pas moins difficile à résumer car ce sont en fait plusieurs histoires qui s’y croisent ou s’y mêlent … Il pourrait presque être abordé comme un recueil de nouvelles ayant un décor unique. Aviez-vous conscience de cette particularité en l’écrivant ?
Villebasse est un roman en mosaïque dans lequel évoluent les habitants d’une petite ville. J’ai longtemps réfléchi à sa structure, à la manière dont j’allais faire entrer en scène chaque personnage et par quels moyens. J’ai rédigé plusieurs versions avant celle-là en m’interrogeant notamment sur la pertinence de chacun d’entre eux, aussi j’en ai éliminé quelques-uns qui n’y figurent plus.
Le lecteur fait la connaissance de certains, les perd de vue en cours de lecture, en retrouve parmi eux un peu plus loin, comme cela peut se produire quand on croise des voisins par intermittence.
Quand j’ai commencé à travailler sur l’ossature de Villebasse, j’ai déploré un temps son manque de linéarité ; puis j’ai pensé qu’elle n’était pas complexe mais contemporaine, dans l’air du temps. Je m’explique : factuellement, nos vies, nos histoires de vie sont bien linéaires dans leur temporalité. Mais notre façon de les observer, d’en prendre connaissance — qui passe aujourd’hui en majorité par le numérique, procède par bribes. Et non seulement nous accédons à des informations partielles, mais nous les fractionnons encore en croisant simultanément nos recherches avec d’autres lectures d’informations partielles — que nous choisissons d’abandonner en cours de route ou de reprendre ultérieurement. C’est à partir de cette remarque in petto que j’ai avancé avec plus de confiance dans l’entrelacement des histoires de mes personnages.
Cela dit, j’ai des précurseurs dans l’exercice puisque Gilbert Sorrentino a structuré Steelwork comme une série d’instantanés qui décrivent la vie d’une communauté de Brooklyn, et qu’Alan Moore a fait de même dans son Jerusalem pour narrer dans de longs chapitres la vie des habitants d’un quartier de Northampton.
Villebasse est en quelque sorte un roman-monde qui s’inscrit dans la lignée de ces auteurs.
Pour un premier roman en littérature « adulte », le projet était donc ambitieux. Au-delà de l’influence plus ou moins directe des deux grands auteurs que vous citez, il me semble que l’on peut également sentir d’autres sources d’inspiration dans Villebasse. Je pense en particulier aux titres des chapitres, qui paraissent directement tirés des feuilletonistes du XIXème siècle. Je me trompe ?
L’histoire de Villebasse se déroule quelques années après la crise de 2008 ; c’est un roman résolument contemporain, et les usages du langage oral actuel y sont bien présents. Néanmoins, le lecteur rencontrera quelques verbes conjugués à l’imparfait du subjonctif et un peu de vocabulaire désuet dans sa narration. J’ai lu essentiellement des textes d’auteurs antérieurs à la seconde moitié du XXe siècle les vingt-cinq premières années de ma vie et j’ai gardé du goût pour certaines tournures et quelques termes aujourd’hui surannés.
J’ai déplacé les chapitres de Villebasse à une fréquence déraisonnable au cours de son écriture, aussi ai-je dû trouver des titres provisoires qui me permettaient de ne pas me noyer dans la masse des personnages. J’avais donc au départ des titres de travail dans lesquels je citais les noms des habitants et les quartiers de Villebasse où ils se trouvaient. C’était pratique, mais pas très littéraire. Il fallait rester dans la littérature tout en permettant au lecteur de ne pas se perdre dans le dédale de mon roman. Et c’est là que j’ai pensé à Rabelais (XVe siècle), à Cervantes (XVIe) à Collodi (XIXe siècle), etc. Ils rédigeaient des titres de chapitre à rallonge pour résumer, pour synthétiser le contenu du chapitre ainsi présenté, et c’était exactement ce qu’il me fallait !
En voici un de Collodi et un autre de Rabelais, juste pour le plaisir du voyage immédiat dans l’imaginaire :
« Lassé d’être une marionnette et voulant devenir un bon garçon, Pinocchio promet à la Fée de s’améliorer et d’étudier »
(Pinocchio, chapitre 25)
« Comment les habitants du Lerné, par le commandement de Pichrocole, leur roy, assaillirent au despourveu les bergiers de Gargantua ».
(Gargantua, Chapitre 26)
Vous faites allusion à « la masse des personnages » qui peuplent vos pages. Effectivement, il n’est pas question ici d’un personnage central mais d’une bonne douzaine de figures dont on suit plus ou moins le parcours. Cependant, d’autres éléments viennent s’y ajouter, que je serais tenté de considérer comme des personnages à part entière : je pense bien évidemment à Le Chien (étrange, d’ailleurs, cette appellation) mais également à la lune bleue ou même au froid. En aviez-vous cette vision en écrivant ?
J’ai une passion démesurée pour l’hiver qui me vient de l’enfance. Toutes les histoires que j’écris pourraient se dérouler pendant cette saison, si je m’écoutais ; d’ailleurs on peut trouver le mot « neige » dans deux titres de ma bibliographie. Je me suis presque fait violence pour planter l’histoire de mon prochain roman en été. Je voue un culte à Rick Bass et à ses sublimes descriptions de la vallée du Yaak sous la neige. Donc, oui, le froid est un personnage à part entière ; le premier élément de Villebasse que j’ai visualisé est un décor sous la neige.
En ce qui concerne Le Chien, il a d’abord surgi de nulle part pour suivre Coline dans son errance, et comme il n’est pas dressé il a progressivement envahi l’espace de mes autres personnages. J’avais beau le chasser, il revenait à la charge ; je l’ai laissé faire et bien m’en a pris, puisque c’est finalement lui qui est à l’origine de l’intrigue. Grâce à Le Chien, tout s’articulait harmonieusement, tout avait sa raison d’être, y compris cette mystérieuse lune bleue dont je ne sais toujours pas comment elle a germé dans mon esprit. Cela m’arrive souvent quand j’écris : je note une ou deux idées, je les développe plus ou moins mais ce n’est qu’au surgissement d’une nouvelle, souvent la somme des premières, que je tiens fermement ma trame narrative.
Villebasse me semble se trouver à une sorte de croisée des chemins. Outre les influences que vous citez plus haut, il y règne une atmosphère flirtant parfois avec le fantastique (la lune bleue en étant l’exemple type) mais aussi avec le polar ou une forme de « roman social » à travers les vies de vos personnages. Revendiquez-vous ce mélange des genres ou s’est-il imposé à vous au fil de l’écriture ?
Je le revendique a posteriori. Je n’avais pas d’intention particulière au départ ; même si j’avais conscience de flirter avec le nature writing noir, ce n’était pas un choix en amont ni même dans les écritures préparatoires. J’écris déjà dans plusieurs catégories littéraires (nouvelle, poésie, roman, album jeunesse, etc.) parce que je ne sais pas et que je n’aime pas rentrer dans des cases. Écrire dans le respect des codes ne m’intéresse pas du tout, bien au contraire : si j’écris d’autres vies que la mienne c’est justement pour m’en affranchir. Il n’y a que pour les albums jeunesse que je m’y plie, mais l’exercice reste ludique car dans ce cas je travaille avec un illustrateur, la démarche est différente et m’apporte autre chose.
L’introduction du réalisme magique, l’ambiance « polardeuse » de certains chapitres et le vernis social se sont imposés en cours d’écriture, au gré de l’évolution des aventures de mes personnages et je dois reconnaître que ça m’a occasionné une ou deux suées malgré ma jubilation, car je me disais que j’allais ramer comme un avorton au milieu d’un marécage avant de trouver un éditeur qui oserait prendre Villebasse. Dieu merci, la suite m’a prouvé que non : Pierre Fourniaud, l’éditeur de La Manufacture de livres, m’a contactée très rapidement.
« Je ne sais pas (…) je n’aime pas rentrer dans des cases », dites-vous. Quand un nouveau projet se dessine, savez-vous immédiatement à quel public il sera destiné, jeunesse ou adulte, ou cet aspect-là se précise-t-il plus tard, avec l’écriture ? Qu’en est-il du prochain roman auquel vous faites allusion un peu plus haut ?
Je pourrais dire que le choix se fait en fonction de l’âge de mes personnages, mais c’est partiellement exact. Il y a par exemple quelques post-ados dans Villebasse et pourtant ce n’est pas de la littérature « young adult ». En vérité, j’écris mes premiers jets instinctivement et de façon sensorielle. Je ne suis pas une intellectuelle et la plupart de mes idées me viennent intuitivement, à la manière d’un sourcier qui ressent les oscillations d’ondes telluriques ou d’un compositeur à l’oreille musicale. L’écriture pour moi est comme une sorte de transe enfantine pendant laquelle j’écoute des signes du monde que je retranscris à la manière d’un traducteur un peu fou, c’est-à-dire avec une quête de justesse absolue mais sous la tutelle du mensonge, car il ne faut pas oublier que les écrivains « racontent des histoires ».
Le texte sur lequel je travaille actuellement est un roman noir avec deux personnages principaux et une structure linéaire, avec une écriture plus fluide, et je tergiverserai d’autant moins pour l’écrire que Pierre Fourniaud est déjà intéressé par mon projet. Il faut avouer que c’est très confortable d’écrire dans ces conditions.
Yann.
(entretien initial à retrouver sur Aire(s) Libre(s), le site de Yann Leray, libraire et chroniqueur littéraire)
Villebasse, Anna de Sandre, La Manufacture de Livres, 216 p. , 18€90.