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Anna de Sandre

  • Mordre la neige

    mai 30th, 2015
    J’ai le plaisir de vous annoncer la parution de mon quatrième ouvrage. Il s’agit cette fois d’un recueil de poésie,  intitulé « Mordre la neige ».
    Il est publié aux Éditions Les Carnets du Dessert de Lune, sa couverture est illustrée par l’auteur et illustrateur Francesco Pittau et sa préface est rédigée par l’écrivaine et poète Astrid Waliszek.
    Je crois que je suis rudement contente.

    Extraits ici, clic :

  • Tendu sur le tambour d’A. Waliszek

    avril 28th, 2015

    L’extrait d’un work in progress de l’écrivaine Astrid Waliszek :
    Mark Simon
    « (…) Quand je ne suis pas au jardin, je lis des livres d’horticulture. Je vais en faire un jardin persan, un jardin d’Eden où se côtoieront les quatre coins du monde. Avec un plan en croix, en ombre une glycine, le vieux banc sous une treille, un rosier blanc sauvage en contre-point.

    Je l’ai dessiné et j’ai sérié les plantes d’abord par couleurs, ensuite par le temps qu’il faut pour atteindre la floraison et enfin par la qualité du feuillage, caduque ou persistant. C’est du temps qui passe, un jardin : une pivoine mettra près de trois ans avant de fleurir, alors que les coréopsis et les capucines, du jaune soleil au rouge sang, passant par l’or du couchant et l’orange, viendront très vite au printemps. Je descendrai la gamme des couleurs dans un autre des carrés, jusqu’au blanc — le blanc des lys. Que je ne planterai pas, leur odeur est bien trop lourde. Roses, cosmos et pavots, plutôt.

    J’ai posé une chaise au bord du jardin-à-venir. Il faut que j’apprenne l’immobilité. Que je reste une journée entière là, à regarder où passeront les ombres selon l’endroit où je planterai la glycine et le pied de vigne. Une journée entière, qui servira de modèle aux autres, à partir de laquelle je peux imaginer ce qu’elles deviendront au fil des saisons.

    J’ai passé vingt minutes assise — juste assez longtemps pour savoir l’hiver. C’est bien trop effrayant de penser une journée entière. Il faudra un noisetier tortueux, les branches comme une sculpture l’hiver. Il faudra aussi que je fasse attention à la façon dont je conduirai la glycine. Quant au pied de vigne, je ne le taillerai que peu : il portera juste assez de fruits pour que les abeilles ne soient pas envahissantes à la fin de l’été — un buddleia sera parfait pour des papillons, c’est bien plus agréable comme bestioles. Je me demande s’il y a des buddleias dans les jardins persans.

    Je veux du blanc, beaucoup de blanc. Je veux les infinies nuances du blanc des roses dès qu’il y a une trace de rose — elles sont un rappel de la chair, de la nacre d’un poignet à la blancheur diaphane d’une nuque, du blanc frileux de l’intérieur d’une cuisse à la blancheur mate d’une pommette. Des blancs très légèrement bleutés aussi, comme des fleurs de poirier, comme des drapés de David. Les fleurs les reproduisent, ces nuances mouvantes (…) »

  • L’arrière-cuisine d’André Markowicz

    avril 6th, 2015

    André Markowicz est un poète et un traducteur. Il a notamment traduit l’intégralité de l’œuvre romanesque de Dostoïevski. 
    Je dis « notamment », car il il parle longuement et avec passion de son rapport au texte qu’il doit traduire et dans son article que je partage ici, il est question du début du roman « Les carnets du sous-sol ».

    « Le Sous-sol, le début.
    Et donc, enfin, je serai en état de changer le texte du début de ma traduction, dont je sais qu’il est fautif depuis presque vingt ans. En tout cas, quand il m’arrive qu’on me demande de dédicacer l’édition Babel des « Carnets du sous-sol », je corrige le début au stylo. — De quoi s’agit-il ?
    On m’avait reproché d’être beaucoup trop violent, beaucoup trop vulgaire. Quand je regarde le texte, quand je relis et que je réfléchis à la façon dont c’est écrit, dont c’est construit, je sais que je n’ai pas été assez violent. — Je n’ai pas été assez radical, j’ai adouci, et adouci instinctivement, — pas parce que je trouvais qu’il fallait adoucir.
    Si vous voulez bien, nous irons phrase à phrase, dans ce soliloque énoncé et écrit.
    Le russe transcrit, le mot à mot russe, ensuite, ma traduction publiée, puis mes commentaires.
    *
    « Ia tchélovek bol’noï… Ia zloï tchélovek. Neprévlikatel’njyï ïa tchélovek ».
    Je [suis un] homme malade.. Je [suis] méchant homme (homme méchant). Pas attirant je [suis] homme.
    — Le russe n’emploie pas le verbe être au présent. Ce qui frappe ici, évidemment, c’est la construction en cercle : « Ia tchélovek » — je suis un homme. Ça commence par ça, ça finit par ça. L’attribut change de place, selon l’intonation. Mettre l’attribut à la fin, c’est une façon d’insister dessus (parce que ça place normale est avant), mais c’est aussi une façon très familière de parler. Et le dernier attribut, « neprévlikatel’nyï » (pas attirant), il est extraordinaire parce que le mot est très long, très rêche, très « pas attirant ». Donc, je ce que je traduis, c’est
    1) le cercle
    2) d’une façon ou d’une autre, une façon de surprendre et de repousser le lecteur à la fois.
    C’est pour ça que je pense que j’ai eu raison de traduire comme je l’ai fait : « Je suis un homme malade… Je suis un homme méchant. Un homme repoussoir, voilà ce que je suis. » — Je traduis le cercle, et je garde un mot qui va revenir par la suite : « méchant ». Et, naturellement, il y a trois fois, « je suis un homme », comme une trinité, apparemment, sans Dieu.
    *
    Ensuite, j’ai traduit comme ça : « Je crois que j’ai quelque chose au foie. » En russe, c’est : « Ia doumaïou, chto ou ménia bolit pétchen’ ». Littéralement : « je pense que j’ai mal au foie. »
    Et donc, d’une façon, j’ai traduit juste juste. D’autant plus que le mot « bolit’ (j’ai mal) est proche du mot « boleet » (est malade). Et donc, traduire « j’ai quelque chose au foie », rendait compte des deux. Mais, mais… Ce que je n’avais pas vu, ce que je n’étais pas arrivé à voir, tellement c’était énorme, c’est le verbe « je pense ». — Parce que, quand vous avez mal au foie, ou ailleurs, ce n’est pas que vous pensez que vous avez mal, c’est que vous sentez que vous avez mal, ou que vous avez mal. A la rigueur, vous pouvez vous demandez où vous avez mal, si c’est au foie, ou à côté, ou en-dessous, mais, le mot essentiel, je ne l’avais pas traduit : évidemment qu’il faut traduire « je pense que j’ai mal au foie », et pas autre chose. — Et, une fois que vous avez compris que le personnage du sous-sol a un corps entièrement mental, — qu’il « pense » qu’il a mal, alors, on comprend mieux pourquoi il a mal spécifiquement au foie, parce que, naturellement, il voit le monde en jaune (couleur que Dostoïevski détestait), parce qu’il est bilieux.
    Quand Patrice Chéreau lisait le texte, je lui avais demandé de dire « je pense que j’ai mal au foie ». Et, ce que tu peux faire au théâtre, demander un changement sur scène, vous voyez le temps qu’il a fallu pour l’obtenir dans un livre…
    *
    « Vprotchem, ia ni chicha ne smysliou v moïeï bolezni i ne znaïoiu naverno, chto ou menïa bolit. »
    Du reste je [que dalle]* ne [entend, comprends]* dans ma maladie et ne sais pas à coup sûr où j’ai mal [qu’est-ce qui me fait mal].
    C’est très difficile de faire un mot à mot : « ni chicha », ce n’est pas « que dalle », c’est moins moderne que « dalle », c’est moins vulgaire, pour le coup — mais ce n’est pas « rien ». Et le verbe « smysliou », ce n’est pas « comprendre », — un verbe qui va revenir par la suite. C’est un synonyme, ici, plus familier de comprendre. — Tout le travail de la traduction est donc de jouer sur le mineur et le majeur en traduisant, ne pas aller trop loin, ne pas aller pas assez loin… Et donc, je propose, ici, de traduire ce jeu sur les nuances familières du soliloque. « De toute façon, ma maladie, je n’y comprends rien, j’ignore au juste ce qui me fait mal ». — Le fait est qu’il faudrait que je me débarrasse du mot « comprends » ici, parce que j’en aurai besoin ailleurs. Et, là, au moment où j’écris, ce mot-là, je ne sais pas encore ce que je vais en faire.
    *
    « Ia ne létchous’ i nikogda ne létchilsia, khotia méditsinou i doctorov ouvajaïou »
    Je ne me soigne pas et jamais ne me suis soigné, quoiquoi la médecine et les docteurs je respecte.
    Là encore, l’intonation est délibérément émotionnelle, avec un accent fort sur la position du dernier verbe, « je respecte », employé inversé, ce qui le met en valeur. Je traduis :
    « Je ne me soigne pas, je ne me suis jamais soigné, même si je respecte la médecine et les docteurs ».
    Ici, il me manque le « et » du mot à mot. Je l’avais enlevé, parce que je m’étais dit que c’était plus insistant. Arrivé à la cinquantaine, je comprends que le « et » est encore plus fort, qu’il donne une espèce de côté factuel sans qu’il y ait besoin d’une insistance particulière. Et je pense que j’ai eu raison de ne pas essayer d’inverser le verbe « respecter » — une phrase comme « même si, la médecine et les docteurs, je les respecte », me paraît plus hachée que familière. Enfin, je ne sais pas.
    *
    Parce que, la familiarité, et le côté hoquetant, ils viennent dans la phrase suivante, qui est invraisemblable :
    « K tomou-je ia échtcho i souévéren do kraïnosti ; no, khot’s nastol’ko, chtob ouvajat’ méditsinou.. »
    Ici, il y a toute une série de chose qui n’entrent pas dans un mot à un mot. Littéralement, ça donne ça :
    « En plus je [suis encore] [en plus] superstitieux à l’extrême : enfin, ne serait-ce qu’assez pour respecter la médecine. »
    Trois façons différentes, et familières, montrant l’oralité, d’insister sur « en plus »…
    J’ai traduit :
    « En plus, je suis superstitieux comme ce n’est pas permis ; enfin, assez pour respecter la médecine. »
    J’ai l’impression qu’il me manque, aujourd’hui, un « qui plus est », par exemple. Je voudrais proposer : « En plus, qui plus est, je suis superstitieux comme ce n’est pas permis »… Ça donnerait un peu plus, par l’incongruité, me semble-t-il, une idée de ce que je ressens quand je lis le russe. Parce que l’essentiel est évidemment de reproduire toutes les répétitions, quelles qu’elles puissent être.
    *
    (Ja dostatotchno obrazovan, chtob ne byt’ souïévernym, no ja souéveren ».
    (Je suis assez éduqué pour être ne pas être superstitieux, mais je suis superstitieux.
    Là, ça va. J’ai traduit :
    « Je suis assez instruit pour ne pas être superstitieux, mais je suis superstitieux. »
    *
    « Net’s, ia ne hotchou letchisja so zlosti »
    Non*, je ne veux pas me soigner par méchanceté.
    Ici, le « net’s » ne veut pas dire « non ». Le « s » à la fin du mot indique une façon de s’adresser à quelqu’un, quelqu’un qui vous est supérieur, et que, dans le contexte, vous envoyez balader. Bref, c’est une marque de déférence agressive. Allez traduire ça.
    J’avais traduit :
    « Oui, c’est par méchanceté que je ne me soigne pas ». — Et là encore, j’ai eu tort, évidemment. — D’abord, j’avais remplacé le « non » par un « oui ». Parce que la phrase que j’avais trouvé me semblait le demander. Mais, aujourd’hui, je pense que je vais traduire comme : « Non, c’est par méchanceté que je ne veux pas me soigner ». Ou bien : « Non, si je ne veux pas me soigner, c’est par méchanceté » — parce que, l’essentiel, ce n’est pas seulement qu’il ne veut pas se soigner, c’est qu’il ne veut pas se soigner « par méchanceté ». — Avec, en plus, cette chose introduisible : en russe, ce n’est pas seulement « méchanceté », mais aussi, ici, « colère », voire « caractère mauvais ». Zlost’, c’est la rage. Zlo, c’est le mal…
    *
    « Vot vy etovo, naverno, ne izvolite ponimat’s »
    Tenez, vous, ça, sans doute, ne daignez pas comprendre ».
    C’est la même intonation que la phrase précédente, avec le même défi à un auditoire non défini, mais désigné. De là, ma traduction, qui ne change pas :
    « Ça, messieurs, c’est une chose que vous ne comprenez pas. » — Je ne traduis pas « daignez comprendre », parce que j’ai mis un « messieurs » qui n’est pas dans le texte, — qui n’y est pas, mais qui y est, dans le « s » de la phrase précédente, que je ne peux pas traduire.
    *
    Nou-s, a ia ponimaiou »
    Eh bien (s), moi, je comprends.
    Et regardez comme j’avais traduit :
    « Moi, si ! »
    Je n’avais pris en compte ce nouveau « s », et je n’avais répété le mot « je comprends ».
    Donc, maintenant, ça va donner :
    « Eh bien, moi, je comprends ». J’aurais voulu traduire : « Ben moi, je comprends », mais j’hésite sur le « ben » écrit. Je me dis que le lecteur, et l’acteur, le dira (lira) de toute façon.
    Et donc, maintenant, voilà ce que donne le début :
    « Je suis un homme malade… Je suis un homme méchant. Un homme repoussoir, voilà ce que je suis. Je pense que j’ai mal au foie. De toute façon, je n’y entends rien, à ma maladie, et je ne sais pas au juste ce qui me fait mal. Je ne me soigne pas et je ne me suis jamais soigné, même si je respecte la médecine et les docteurs. En plus, je suis superstitieux comme ce n’est pas permis ; enfin, assez pour respecter la médecine. (Je suis assez instruit pour ne pas être superstitieux, mais je suis superstitieux.) Non, si je ne veux pas me soigner, c’est par méchanceté. Ça, messieurs, c’est une chose que vous ne comprenez pas. Eh bien, moi, je comprends… »
    *
    Je pourrais continuer…
    mais, ici, ça va comme ça. »

  • Printemps des Poètes

    mars 20th, 2015
    Vitrail C. Augé d’après La semeuse de Grasset
    Samedi, c’est la clôture du Printemps des poètes. Je serai à cette occasion en signature à la librairie Effets de pages à L’Isle-Jourdain en compagnie de Jean-Baptiste Pedini, puis le soir nous lirons des trucs et ce sera, je l’espère, sympa et rigolo.

    La Dépêche du midi en parle ici







  • Tête-Dure

    février 13th, 2015
    Francesco Pittau, Tête-Dure, éd. les Carnets du Dessert de Lune, à paraître en février 2015, 100 pages.
    *
    *
    1a7fa-tc3aate-dure2bcouv27Francesco Pittau est un écrivain et un concepteur fertile. Très.
    Sur son livret de famille sont répertoriés depuis une vingtaine d’années pas moins d’une centaine d’albums pour la jeunesse, des recueils de poésie (jeunesse et grandes personnes) et des nouvelles que l’on peut également lire sur son blog.
    Son approche des chapelles éditoriales est relativement œcuménique, puisqu’il publie ses textes indifféremment aux éditions Gallimard, Albin Michel, Seuil, aux Grandes Personnes et aux Carnets du Dessert de Lune.
    Imaginez le jour où l’INSEE recensera la population en comptabilisant les ouvrages des écrivains au même titre que leurs enfants : les enquêtes auront à ce moment-là une durée indéterminée, et ce sera de la faute de Francesco Pittau.
    Rendez-vous compte que cet écrivain est un polygame de l’imagination. Ses différents imaginaires le fécondent à chacun des cycles ovulatoires de son lobe occipital et de son précuneus — de quoi rendre jaloux toutes les Harper Lee et tous les Jerome David Salinger du 6ème arrondissement de Paris. Quand on étudie une bibliographie, même très longue, on ne réalise pas très bien à quel point la prolificité peut parfois être délétère. Souvenons-nous pour illustrer ce propos de cette andouille britannique de Thomas Austin qui fit venir en Australie douze couples de lapins de Grande-Bretagne pour câlinourser un chouia son mal du pays : cinquante ans plus tard, 600 millions de ces grandes oreilles avaient envahi 60% du territoire. Autant vous dire que la France a peur…
    Oui, Francesco Pittau est un tantinet énervant, car en plus d’avoir la vocation, il a le talent. Il excelle dans tous les genres jusques et y compris le genre romanesque. C’est d’ailleurs de son dernier roman dont il est question dans ce billet.
    Le texte s’ouvre sur un samedi d’automne, au début des années soixante. Un Peau-Rouge tente de sauver son scalp en piquant un sprint sur le balatum d’une cuisine et pourtant, nous sommes plongés au cœur de l’intimité d’une famille d’immigrés italiens. Tête-Dure n’est pas celui que l’on pense ; Tête-Dure est le surnom du fils de la maison et quand la violence du quotidien le déborde, il s’évade en territoire indien avec ses personnages de plomb. Dès cette scène d’ouverture, le mode de fonctionnement de cet enfant de six ans va être démontré au moyen de son jeu de prédilection.

    « Tête-Dure sait que le pire va survenir. L’Indien est d’ores et déjà condamné. C’est sûr, comme eux et deux font quatre. Le destin est en marche. Inutile d’espérer échapper à son destin. (…) Tête-Dure attend l’inattendu. Il pense à contrecarrer le destin. Il pense à changer le cours de l’action, mais il sent confusément que ce n’est pas bien, qu’il faut laisser le ruisseau couler dans son sens naturel. Alors, il pose l’Indien sur le sol et, d’un doigt assuré, il le pousse vers l’ombre de la chaise. Y a pas de vautours dans les environs. Y en a jamais eu. Un pigeon, peut-être. Ou un canari. Ou un moineau. Un de ceux qui sautillent sur le trottoir, de pavé en pavé, entre les feuilles mortes. Un cloc sourd retentit. L’Indien n’a pas le temps de réagir qu’un autre coup de feu, pan ! claque, suivi d’un autre, et d’un autre encore. Puis le silence, plus épais que tout à l’heure, retombe comme une couverture de laine. Il pourrait remplir une bouche, ce silence, tant il est épais et solide. Tête-Dure soupire. Il aurait pu changer le cours des choses, mais il ne l’a pas fait. Il attrape le soldat (qui est dissimulé derrière un pied de la chaise), le lève à hauteur de ses yeux et l’examine avec une moue de mépris.

    Pourquoi faut-il que le soldat gagne à chaque fois ? Pourquoi faut-il toujours que ce soit ce soldat si propre, si sûr de lui, si arrogant, qui sorte vainqueur. Tête-Dure le déteste. Alors, saisi d’une rage brutale, il jette au loin le soldat, qui rebondit sur le revêtement avec de petits clic-clic-clic qui se mêlent à un autre clic – celui du bouton de la radio, suivi presque aussitôt d’une voix tonitruante surprise au milieu d’une phrase. »

     Tête-Dure est un petit garçon qui a déjà intégré les codes de la famille et de la classe sociale dans lesquelles il évolue : les dominants sont violents avec les dominés, et les dominés respectent cette règle de fer. Le mari bat l’épouse, la mère bat l’enfant, le patron exploite l’ouvrier.
    La conscience politique s’exprime au bistrot, se forme en écoutant la radio par bribes. L’ivresse à coups de Celta Pils permet de cracher la haine de ce système broyeur entre des hommes qui pensent garder un minimum de respect et de dignité dans leur virilité et leurs habits du dimanche. Les immigrés détestent leur pays d’accueil comme des rats pris au piège, leurs femmes se réfugient dans la religion et mettent leur fierté d’esclaves domestiques au service de leurs maris.

    « Tête-Dure se frotte les yeux. Il s’ennuie un peu. Il regarde les pieds de Papa. Papa porte de fines chaussures noires, luisantes comme deux morceaux de glace. Papa est délicat des pieds ; il souffre de toutes sortes d’excroissances cornées et il passe un temps fou, le soir, à les soigner. Il dit qu’il a des oignons, des yeux-de-perdrix, ou d’autres choses avec des noms bizarres. À l’aide de petits ciseaux pointus, il taille dans tout ça et il gémit quand il va trop profond dans la chair, et pour amoindrir la douleur, il aspire une grosse goulée d’air, puis il jure, il maudit la Sainte Vierge et tous les saints. Il leur promet les feux de l’Enfer et une vie dissolue.

    Il s’emporte, gueule qu’on ne vend que des chaussures d’une qualité de merde. Il hurle qu’il souffre le martyre, que tous les marchands de chaussures sont des escrocs capitalistes à la solde des Juifs. C’est pour cette raison qu’il fuit leurs boutiques lumineuses et feutrées pour parcourir sous un ciel gris les marchés à la recherche des chaussures qui apporteront enfin un peu de réconfort à ses pieds malmenés. Jamais il n’a trouvé cette paire de chaussures salvatrices, mais il ne perd pas l’espoir de mettre la main dessus. Et quand il ne parle pas des douleurs causées par les chaussures, il parle des Dégâts du Monde, des Forces Souterraines qui dominent le Monde, des Puissances Occultes qui travaillent à la destruction de ce qui constitue son Monde à lui. – Ces salauds d’Américains ! Ces saloperies de Capitalistes !

    Ces Juifs ! Ils vont nous tuer ! Kennedy va déclarer la guerre et c’est encore « les Innocents » qui vont payer ! Tas de saloperies ! »

    Papa a une voix qui résonne et qui fait mal aux oreilles quand la colère le prend, une voix rocailleuse, une voix qui exagère parfois les sifflantes, qui chuinte. Une voix que Tête-Dure reconnaîtrait sans hésiter même au milieu d’une foule qui jacasse, simplement parce que Papa farcit son français de mots italiens dont les accents toniques sont comme des ponctuations dans la monotonie du français. »

    Le père est communiste et anticlérical, raciste, antisémite et paranoïaque. La mère est dévote et hystérique. Tête-Dure est un objet ballotté au gré des humeurs des adultes. C’est pourtant devant ses yeux d’enfant soumis que les scènes de ce récit égrènent des pépites de poésie également sonore. L’enfant observe le tout avec une acuité incroyable. Particulièrement auditif, il restitue les ambiances qui bruitent avec des onomatopées et des néologismes d’une musicalité intense. Et c’est là la force du style de Francesco Pittau dans ce roman qui éclaire deux journées pourtant sombres où la misère, la violence et la bêtise rompent la moindre molécule d’oxygène.
    Au milieu des insultes, de la crasse, de la vindicte, des menaces et des coups, ça « clic-cliquette », ça « tiquetique » et ça « frtt-frtt » dans une rhapsodie chuchotante.
    Quand le père, écrasé par la frustration et ses contradictions, fuit dans l’alcool, le jeu et ses rêves de rentes, la mère se recroqueville autour de son ventre et de ses vertus de femme pieuse et ménagère. Les voisins, les familles, les enfants, les chiens, tous sont assujettis, et quand quelqu’un croit tenir un bout de laisse, il en profite pour frapper celui dont le cou est dans le collier.

    « PAPA a enfilé sa veste en cuir, puis il a refermé bruyamment la porte sur le champ de bataille. Son pas a tiqueté dans l’escalier.

    Maman n’a pas bougé ; elle est encore affalée sur le balatum (elle ne pleure plus) et elle crache un mot, comme un bout de tendon : – Salaud…, d’une voix qui va s’affaiblissant.

    Tête-Dure est immobile comme un caillou. Il est aussi comme un insecte qui attend le soleil. Il est comme un jouet en bois. Il est comme une goutte de cire froide sur la nappe en tissu. Il ne bouge pas. Il ne peut pas bouger. La lumière du jour glisse doucement sur le sol, sans heurt, irréelle et nette. Il s’entend respirer et son coeur est une bouchée de silence.

    Mais Maman le rappelle d’un reniflement à la réalité. Il ne rêve pas. Le regard de Maman est une aiguille de haine dirigée vers l’intérieur de sa tête, puis vers lui, mais cela il l’imagine. Il comprend qu’elle ne le voit pas. Il a gardé le camion serré sur sa poitrine ; ses mains transpirent sur le métal et le coin du pare-chocs lui fait mal.

    Maman rabat sa jupe sur ses cuisses et, avec des gestes cassés, elle se remet debout.

    On voit qu’elle ne veut plus pleurer, ni maudire, ni se lamenter.

    Elle évite de regarder en direction de Tête-Dure, qui sent le nœud de sa gorge descendre lentement jusqu’à l’aine. Puis s’effiler, puis se dissoudre.

    Puisant au robinet près de la fenêtre de la rue, Maman se passe de l’eau froide sur les paupières et sur le front, et un peu sur les joues. Il lui faut un temps fou pour faire ça. Elle a l’air vieille soudain, courbée sur l’évier en grosse faïence ; elle souffle en animal fatigué. »

    Francesco Pittau est un excellent conteur, un narrateur à l’empathie aiguë qui utilise aussi bien les multiples focales de la caméra d’un cinéaste amoureux de ses personnages, que les cinq sens des organes de la perception qu’il frotte habilement, telles les cordes d’un violoncelle.
    Des copeaux de Mark Twain additionnés d’un zest d’Ettore Scola, le tout mijoté dans une marmite en peau de tambour.
  • Pendant ce temps, aux actualités

    janvier 9th, 2015

    « (…) Impuissants, les policiers finissent par envoyer Bruce Willis déguisé en John McClane négocier avec le terroriste.
    Bruce ressort en moins d’une minute de l’épicerie casher, poussant devant lui l’homme désarmé qui n’oppose aucune résistance.
    Après l’évacuation des otages et les effusions de circonstance, les flics admiratifs se tournent vers John tétant déjà sa flasque et lui demandent des explications sur son mode opératoire.
    « Fastoche, répond sobrement celui-ci, j’ai menacé le preneur d’otages de lui balancer du sang de porc lyophilisé à la tête. Il a tellement eu peur qu’il était même prêt à crier « Je suis Charlie ! »
    Puis il prend congé et se met en marche pour quitter la porte de Vincennes. C’est alors qu’un des policiers l’apostrophe :
    « Hey, McClane ! Le plus rapide pour aller vers le sud, c’est pas la neuvième, c’est par Central Parc.
    – Seigneur… L’avenue du parc est toujours bouchée.
    – Qui t’a dit que je prenais l’avenue ? J’ai dit que je prenais par le parc. » 


    Die Hard 7, « Une saison en France »


  • Dancing queen

    décembre 11th, 2014

    Nous sommes aujourd’hui, et c’est mon jour préféré.

    https://youtube.googleapis.com/v/F3jnymeJof4&source=uds

  • Un entretien, quelque part dans la chaleur de l’été

    août 25th, 2014
    Crédit photo Vivian Maier
    Juillet avait sorti ce qu’il avait de plus laid et donnait des airs de vide-grenier sauvage au quartier sud de New-York. La vulgarité des lumières, la saturation ostentatoire des couleurs et la nonchalance calculée des citadins attiraient et repoussaient les touristes vacanciers comme un ressac ; une chaleur de fournaise cuisait les poissons — dont la plupart dira-t-on l’été suivant se retournèrent ventre en l’air dans l’Hudson River — et même, à la nuit, certains groupes d’oiseaux migrateurs semblèrent vouloir renoncer à leur trajet pendulaire.
    On ne sortait plus que par nécessité. La upper middle class avait déserté pour rafraîchir ses mômes anémiés dans les criques à galets et prendre des clichés stupides à rapporter au bureau pour énerver les accrochés du travail. Tout marchait au ralenti et le journal local peinait à remplir sa rubrique de faits divers.

    Le contact anonyme de Gaby Sarrasin lui avait tendu un morceau de papier replié comme une bouche fermée. Ce bref échange ne marqua pas les esprits, tout deux ayant pris mille précautions pour commercer à l’abri des regards.
    Gaby consulta sa montre en sortant de l’entrepôt. Il était encore tôt, assez pour qu’elle prenne son temps avant de se présenter spontanément à l’adresse qu’il venait de griffonner à son attention. Pourquoi pas maintenant, d’ailleurs.
    Elle lavait ses sous-vêtements tous les soirs dans l’évier d’une cuisine insalubre au milieu d’autres clandestins et ses précieux dollars, dont la valeur en francs lui échappait, filaient un peu trop vite dans la main avide de Madame Oliver. La marchande de sommeil tenait son commerce spécial depuis une petite décennie à présent, et ne manquait jamais de se vanter dans les milieux concernés qu’elle offrait une chance dont trop peu de gens pouvaient se saisir. Cette chance était en vérité pour elle, soit le revenu inespéré de ses vieux jours.

    Gaby écrivait une pièce de théâtre comique au sujet d’hommes inconséquents et de femmes intrépides. Un des proches de sa tôlière était le directeur d’une troupe locale, Adam Foster, qui voulait présenter un spectacle « entièrement en français » à la communauté francophone issue des vagues arrivées massivement par le port de New York. La négociation n’avait pas tourné en la faveur de l’écrivain, puisque Foster avait refusé de lui verser une avance sur ses droits d’auteur, mais ce dernier la croyait célèbre dans son pays d’origine et son carnet d’adresses, calculait-elle avec juste raison, lui servirait en même temps que le succès des représentations.

    Elle savait que Madame Oliver la mettrait dehors si elle ne leur trouvait pas rapidement des petits frères, à ces billets, et en nombre croissant de préférence. Gaby Sarrasin était si peu fertile de l’artiche qu’aucun emploi intéressant ne voulait la féconder, ce qui ne l’empêchait pas de pleurnicher régulièrement afin que Madame Oliver lui donnât des combines pour travailler au même titre que les autres, le temps de devenir aussi célèbre qu’Israël Horovitz, puisque telle était sa folle ambition. Son hôtesse n’accédait jamais à sa demande insistante, mais ce matin elle avait cru envoyer une autre de ses « pensionnaires », Suzanne, au rendez-vous de l’entrepôt. Or, Gaby y était allée à sa place en échange d’un service rendu une semaine plus tôt, qu’il valait mieux que chacune d’elle tût à jamais. Elle ne pouvait pas être plus incompétente que sa colocataire lui semblait-il, colocataire qui de toute façon trouverait plus facilement qu’elle de quoi arracher ses fesses vers un petit paradis, avec ses nombreux talents et le réseau de « connaissances » qu’elle développait à la vitesse du chemin de fer sur la terre des fermiers.


     Quand la Française arriva dans le bon quartier, elle tenait le morceau de papier serré fort dans son poing, ouvrant la main de temps en temps devant des new-yorkais pressés mais polis qui lui répondaient gentiment quand elle leur précisait : « Excuse-me, I’m a french and I’m lost. Please, can you tell me the way to, etc. » Après quelques pas perdus dans une ou deux mauvaises ruelles, elle s’arrêta finalement là où on ne l’attendait peut-être pas encore, devant une porte dont le charme cossu lui donna déjà un bon espoir.
    Derrière elle, tout commença à bruire et frétiller comme après un lever de rideau sur une immense estrade : une harangue ravissait des pigeons, un démarrage interminable de mobylette faisait fermer quelques fenêtres et le bruit des mises en place dans les différents corps de métier hébergés dans les bureaux, les locaux de commerce, le garage et les officines de la rue principale ronronnait dans sa cadence parfaite. On aurait dit du théâtre à ciel ouvert pour un public issu du tout-venant. La lumière du soleil s’introduisait entre les immeubles à la hauteur formidable, exposant l’endroit dans son quotidien le plus prosaïque. Les camions de livraison se garaient à l’arrachée et provoquaient l’hystérie des autres conducteurs . Ça freinait sec, ça insultait et klaxonnait, ça redémarrait bruyamment et Gaby n’avait pas besoin de se retourner pour visualiser les actions qui s’enchaînaient autour d’elle comme des saynètes.

    Des promeneurs se massèrent tranquillement à la balustrade d’un pont suspendu et elle eut le sentiment angoissant qu’ils arrivaient là tout exprès pour l’espionner. Des passants frôlaient parfois son corps qui encombrait le passage tant elle était lente à se mouvoir puis empotée à attendre que la porte s’ouvrît, mais eux ne provoquaient aucune inquiétude chez elle, car elle pouvait sentir leurs intentions en se fiant à la régularité de leur marche.
    Le bourdonnement de l’ouvre-porte lui fit l’effet d’une corde jetée depuis le haut d’une corniche et la pauvre femme se rua sur la lourde porte, de peur que son faible poids ne suffise à correctement l’ouvrir avant qu’elle ne se bloque.
    Elle évita prudemment l’ascenseur et frappa, le souffle court, à l’une des portes du huitième étage. Ces maudits Amerloques étaient forcément originaires d’une espèce arboricole pour privilégier la construction de ces  immeubles à la hauteur sans cesse plus grande. Elle regrettera toute sa vie, pensa-t-elle à ce moment-là, d’avoir choisi les États-Unis d’Amérique pour changer de peau. La mue d’un serpent était plus rapide et moins douloureuse.

    Elle traversa une cour intérieure plutôt sobre mais bien entretenue, décorée à la manière des anciennes haciendas avec en son centre une fontaine en marbre rose. Au bout de sa course, un gros majordome à la forte odeur de gin la reçut dans un français approximatif. Des cris d’enfants se chamaillant lui parvenaient à travers le plafond de l’appartement. Elle fit la grimace et suivit l’homme en retenant un peu sa respiration.
    Il s’effaça pour la laisser entrer dans une pièce aux proportions étonnantes. La richesse ostentatoire de son mobilier et de ses objets l’éclaboussa comme une gadoue sous la roue d’un véhicule à grande vitesse. Elle s’ébroua mentalement et sursauta en posant les yeux sur l’homme avachi qui la recevait jambes croisées et posées sur un imposant bureau — un meuble précieux en acajou, style Empire, avec des montants en bustes de femme.


    Adam Foster lui sourit largement, amusé et narquois : « Tiens, Jean Anouilh en jupons ! J’attendais une souillon pour remplacer ma vieille cuisinière, et voici que Colette entre en scène. »
    Gaby suffoqua sous l’insulte. Elle voulut quitter la pièce mais le gros majordome bloquait le passage, posté dans l’embrasure de la porte. Lui aussi était hilare. La jeune femme perdit contenance et énonça sottement : « laissez-moi passer, mon ami m’attend en bas ! »
    Les deux Américains rirent bruyamment. La honte lui donna une sorte de nausée.
    Elle fixa le ventre du domestique comme si elle attendait qu’un passage secret s’ouvrit à cet endroit précisément. Elle continua en menaçant à voix forte sous l’effet de la panique jusqu’à ce que Foster mette un terme à son esclandre.
    « Bon, ça suffit, Sarrasin ! Fermez-la et venez ici. »
    L’injonction la cueillit comme un claquement de fouet sur la croupe d’un cheval et elle se retourna avec maladresse, bousculant le majordome qui recula d’un pas, toujours hilare.
    « Non, je veux partir ! Cet entretien est terminé. »
    Ses oreilles bourdonnaient et ses mâchoires lui faisaient mal.
    Adam Foster se radoucit et ôta les pieds de son bureau d’une poussée.
    « Je vous en prie, ne m’obligez pas à vous présenter des excuses ; ça, c’est bon pour les faibles. »
    Puis il s’agaça contre le sous-fifre qui avait repris sa faction dans l’embrasure.
    « Foutez le camp, Hastings ! Vous impressionnez défavorablement la demoiselle. »
    Le domestique lui lança le regard d’un homme souffrant et s’effaça en silence.

    Gaby lampa une goulée d’air et avança d’un pas rapide vers Foster. Elle voulut réitérer sa demande en donnant du poing sur le bureau, mais Foster retint son bras.
    « Je vous demande pardon, mademoiselle Sarrasin, je me suis comporté comme un connard. Maintenant, s’il vous plaît, asseyez-vous et discutons. »
    C’est le moment que choisit l’estomac du pseudo auteur-de-théâtre- célèbre-en-France pour gargouiller de la façon la plus vulgaire, d’un borborygme long et caverneux. Elle blêmit et s’assit, trahie par son corps de crève-la-faim.
    « Et bien soit, je vous écoute ? »
    « Très bien. Et d’abord une question : est-ce que vous savez faire les crêpes ? »
    « Ma mère était bretonne donc oui, je sais les faire. Y compris les galettes et tout le folklore pâtissier qui va avec. Pourquoi cette question ?»
    « Parfait ! vous êtes engagée. Vous démarrez votre nouvelle vie lundi matin à huit heures. Hastings vous expliquera toutes les modalités et je vous donnerai une avance sur votre salaire. Vous serez hébergée et je couvrirai vos frais médicaux. Vous aurez un jour de congé par semaine, et en dehors du temps que vous consacrerez aux courses et à la préparation de mes repas, vous pourrez passer le reste de vos journées à l’écriture de la pièce que je vous ai commandée.
    C’est tout, l’entretien est terminé. »
    Il se saisit d’une clochette qu’il agita en rappelant son autre employé de maison :
    « Hastings ! Raccompagnez mon hôte jusqu’à son domicile. »
    Il ne s’intéressa plus à la Française et après son dernier ordre, il se leva et sortit par une porte dissimulée derrière une courtine de velours.

    Gaby restait immobile, les yeux dans le vide.
    Le gros domestique se pencha sur elle et se permit de toucher son épaule.
    « Venez, mademoiselle ; je vous raccompagne. »
    Son accent américain était atroce mais la gentillesse nouvelle dans sa voix était persuasive. Elle reprenait ses esprits et le suivait avec lenteur, se donnant enfin la peine de détailler le contenu de la pièce.
    Avant d’en franchir le seuil, elle fut prise d’une impulsion étrange et déroba une petite statuette de jade représentant un éléphant sanglé avec la trompe en l’air. Elle aurait pu s’emparer d’un objet de plus grande valeur, mais la symbolique de ce geste furtif suffit à la combler.
    Une fois dehors, les bruits de la rue la cueillirent avec la force d’une clameur, tel l’oracle d’un possible triomphe. Elle fendit rapidement la foule des badauds et des travailleurs, se retenant de lui jeter des baisers du bout des doigts.

  • Une concrète de senteurs

    août 6th, 2014
    Olivia de Aivilo
    Réveillée à 6h15 par le tonnerre. Il pleut la pluie dont on croyait qu’elle arriverait hier.
    Hier, à Masseube, j’ai marché dans le bois de l’Ile d’Ager. Son chemin principal est étroit et sinueux et bordé de noisetiers et de chênes, comme il se doit dans une image d’Épinal. Tout ce que tu frôles ou empoignes est une concrète de senteurs.
    Une rivière encaissée coule en contrebas : tu sens combien elle te domine et c’est aussi pour cela que tu dois baisser les yeux pour l’observer. Tu chemines dans la fraîcheur du microclimat offert par les haies parallèles des arbres centenaires. Tu avances dans leur étreinte et tu as conscience de fouler une verdure encore préservée d’une quelconque menace. Tu souris bêtement parce que tu es dans le mois où tu penses que des gens donnent une forte somme d’argent pour venir se reposer ici, et au bout du chemin tu tournes à gauche pour ramasser des légumes au potager, celui que le propriétaire te prête parce qu’il se sent un peu « fatigué » cette année.
    Oui, au passage tu as dérobé des grappes de raisin blanc qui débordaient sur la rue depuis le jardin d’un voisin habile à faire pousser tout ce à quoi on pourrait ne serait-ce que prêter vie.
    Chaque saison — même si elles sont de moins en moins marquées, reste encore différente, et tu ne sais pas qui remercier pour cela mais tu le formules tout de même silencieusement. Tu le fais machinalement et ce n’est même pas conjuratoire. Tu es simplement reconnaissant et tu prends ce qui est offert à tes pas avec la parcimonie de qui sait qu’en ces lieux rien n’est dû, mais qu’il est tout de même de son devoir de passer sans troubler l’ordre aléatoire qui de toute façon sera dérangé par l’orage à venir, et c’est déjà bien assez.
  • Vaines épigrammes et pauvres aphorismes #4

    juin 19th, 2014
    En amour, ce n’est pas avec une lance à incendie qu’on apaise le feu quand le torchon brûle.
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