Chapitre 2
L ‘absence de Juliette avait fait le tour du collège. Deux jours après s’être confiée à Sam, elle ne se présenta pas au premier cours de la journée. Sam comprit en arrivant devant les grilles qu’elle ne reviendrait pas. Il y eut comme un trou noir dans sa tête qui aspira tout, qui emporta avec lui sa chère étoile et qui la dévora. Exactement comme il avait aspiré ses parents à l’annonce de leur mort. Sam s’évanouit devant les élèves qui attendaient le dernier moment pour franchir les grilles.
Une semaine après l’incident, en s’attablant à la cantine à proximité de Sam, on pouvait remarquer qu’il ne touchait pas à la nourriture dans son assiette. Ensuite, il ne fallait pas longtemps avant de voir un de ses voisins de table, par exemple une petite dégourdie à frange haute et langue bien pendue, passer doucement son bras devant lui et échanger leurs assiettes. À la fin du service, tout le monde sortait de table le ventre plein et Sam suivait la cohorte, indifférent à son propre estomac.
Ensuite, les jours du mois d’avril tombèrent lentement, et les kilos de Sam aussi. Une tranche d’ananas frais le matin, quelques flocons d’avoine à midi et un peu de vermicelle dans un bouillon de poule le soir, voilà ce qui était devenu son ordinaire. Sam s’étiolait sous les regards désolés d’Oncle Stéphane et de Tante Fabienne. Allongé sur son lit le plus clair de son temps, il s’évadait en rêvassant sous le plafond badigeonné dont la couleur bleu dragée lui rappelait les yeux de Juliette.
Bien sûr, l’oncle et la tante avaient tout tenté pour le sortir de sa tristesse : ils le couvraient de cadeaux, ils l’emmenaient au cinéma, ils l’invitaient au restaurant… Hélas, en vain…
« Je ne sais plus quoi lui offrir », se plaignit Tante Fabienne un dimanche après-midi en cherchant une idée nouvelle sur Internet.
Oncle Stéphane hocha la tête. Il n’avait pas de meilleur constat :
« Il faut bien admettre que son adoption est un échec : nous ne savons pas protéger Sam d’un chagrin d’amour. Un amour sans importance, pourtant ; une amourette de gosse au début de l’adolescence. À son âge, moi, je tombais amoureux tous les quatre matins ! »
Un grincement les fit sursauter. Ils tournèrent la tête vers la porte du salon… rien !
« C’est le chat qui est allé aux croquettes », supposa Tante Fabienne en poussant un soupir. Ils continuèrent leur conversation à mi-voix.
Sam retira ses espadrilles et s’éloigna avec précaution. Dans sa chambre, il sortit un sac à dos du placard et le remplit du strict minimum. Un saut dans la cuisine pour y ajouter une petite bouteille d’ eau et des biscuits ; une caresse au chat planté devant le frigidaire, puis il enfila ses baskets préférées et un blouson coupe-vent sans manches avant de se faufiler sur la terrasse en se tortillant pour ne pas ouvrir trop grand la porte d’entrée. Il se retourna. À travers la fenêtre et ses rideaux en organza, il pouvait voir les silhouettes de son oncle et de sa tante qui regardaient un jeu télévisé. Sam leur adressa un adieu muet. Il hésita devant le portail mais sa main ne trembla pas sur la poignée. Il réajusta le sac à dos d’un mouvement d’épaules, serra les bretelles dans ses poings et contempla les alentours familiers. Puis il s’éloigna en direction des montagnes.
Extrait d’un roman jeunesse en cours (9-12 ans)
2 réponses à “La Vocation de Sam Burdel #2”
Excellent, très bien « torché ». On a envie de connaître la suite.
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Merci Francesco. Je m’y attelle. 🙂
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