Serpentines (extrait #1)

« C’était un matin redevenu calme en apparence. On apercevait encore la demi-lune derrière les branches du noyer que le vent de la nuit avait délestées de leurs fruits dans un martèlement anarchique sur le toit de la véranda.
Son visage, dans la glace éclairée d’une loupiote, lui montrait les stigmates du manque de sommeil. Romane farfouilla dans sa trousse en évitant de heurter son rasoir et en sortit un rouge à lèvres de couleur fuchsia qu’elle appliqua du bout de son index pour un effet bouche mordue. Cette dernière touche équilibrait l’ensemble de son maquillage derrière lequel on ne devinait plus son début de migraine.
Elle sortit de la salle de bains, retourna dans sa chambre pour fermer la fenêtre et prendre un Doliprane 1000 dans sa table de nuit. Un verre trônait sur son plateau depuis longtemps. Elle goba la gélule, la gratifia d’une gorgée de son eau stagnante et eut aussitôt la sensation que cette petite fée ouatait déjà la raideur dans sa nuque et les pulsations à sa tempe. Dans son empressement, elle avait laissé échapper un filet d’eau sur ses lèvres, gâchant ainsi l’effet bouche mordue. Dans un instant, elle pourrait apprécier le changement sur sa figure avec l’éclairage normal de la salle de bains, supporter la lumière du jour sans plus de gêne ou recevoir un fond sonore si cela lui chantait.
Elle n’aimait pas quitter la maison si tôt. Elle n’aimait simplement pas sortir pour de si longues heures. Quand Jules avait débarqué, trois mois en arrière, avec ses bières brunes et ses poches trouées, elle avait changé son mode de vie et préféré louer un cabinet en ville.
Romane sortit sans avoir rien rangé et s’assit au volant de sa vielle voiture. Un coup d’œil, en démarrant, sur les fenêtres de sa voisine la plus âgée — volets relevés, le signe qu’elle était encore parmi les vivants, et elle roula vers la ville en ouvrant la radio sur le Believer des Imagine Dragons.
Pain ! you break me down, you build me up, believer, believer ! »

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Une réponse à “Serpentines (extrait #1)”

  1. Bonjour Anna,

    Toujours cette appétence à peindre la misère à travers la description des plus petits détails sordides du quotidien pour garder un semblant de dignité blafarde

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