J’ai répondu au questionnaire du candide chez le journaliste et écrivain Brice Torrecillas voilà quelques semaines déjà et je retranscris nos échanges ici :
» ÉCRIVAINE, AUTEURE JEUNESSE, CONSEILLÈRE ET ANIMATRICE LITTÉRAIRE, ANNA DE SANDRE écrit des romans, des nouvelles, de la poésie et des albums indifféremment en jeunesse et chez les grandes personnes », nous indique sa biographie. Quant aux mots qui suivent, ils indiquent une personnalité pleine de sensibilité, d’humour et d’intelligence – oui, tout cela. »
- Un écrivain, ça naît comment ?
D’un trouble du langage. Des amours entre une mère alchimiste et un père cuisinier. D’une sale manie. D’un don pour la survie. De l’errance vagabonde et cyclique que nous partageons avec les planètes (« planêtês » en grec signifie « errant »). Du doute. De la capacité d’émerveillement. Des réponses insuffisantes. D’une dévotion pour le mensonge. D’un rapport particulier au temps et au territoire.
Dans mon cas, l’écrivaine est née peu de temps après moi. J’ai su lire à quatre ans et à sept, j’écrivais déjà des « romans » d’une vingtaine de pages, chapitrés et paginés. La poésie est venue plus tard.
La communication orale était difficile durant mon enfance.
Je viens d’une famille de taiseux qui emportent leurs secrets dans la tombe.
Je viens d’une famille de taiseux qui emportent leurs secrets dans la tombe. Le premier qui parle a perdu et peut faire exploser un monde. C’est dire si la parole dans cette famille a la valeur d’un pistolet chargé. J’ai vu ma mère se relever en pleine nuit pour brûler à l’allumette — alors qu’elle avait peur du feu, des lettres manuscrites dans l’évier de la cuisine.
Paradoxalement, malgré cette ambiance paranoïaque, les bibliothèques de mes parents étaient sanctuarisées, comme si la sauvagerie des mots se domestique à partir du moment où ils sont imprimés sur du papier. Ce qui veut dire qu’aucune censure n’était appliquée à mes lectures et que j’ai pu dévorer absolument tout ce qui me tombait entre les mains.
- Un livre, ça vient de quoi ?
De vendanges. Il faut d’abord récolter, déguster et mettre en cave.Il faut d’abord récolter, déguster et mettre en cave. Puis broyer et presser pour séparer le jus des peaux. Ensuite, laisser fermenter avec des levures naturelles et sauvages. Tout le sucre doit être converti en alcool. C’est alors que l’on peut clarifier en ôtant les résidus, laisser vieillir encore et enfin embouteiller.
Pour le dire autrement, la matière première est un métissage de prise de notes autour d’idées, de sensations glanées un peu partout. J’écris d’abord dans ma tête, longtemps. J’oublie intentionnellement de retranscrire ce qui me vient dans un carnet parce que je pars toujours du principe que ce qui vient dans un premier temps ne tient pas la route, n’a aucun intérêt. Puis, si cela devient insistant comme une chanson qui refuse de s’en aller, alors je prends un stylo et un carnet. Puis, plusieurs stylos et plusieurs carnets.
- Un style, ça se trouve où ?
Dans l’intervalle. Simplement, il faut avoir le sens du rythme et l’oreille quasi absolue pour en faire une suite de sons harmonieux et non une cacophonie de bruits. C’est de la musique avec pour interprètes l’analogie au chant et la synchronicité à la ligne de basse.
Ça se trouve également dans le plaisir et dans la sueur. L’écrivain honnête est un artisan d’art dont l’ouvrage est perfectible et donc à remettre moult fois sur le métier, comme le disait si justement Nicolas Boileau.
- Quand on écrit, c’est pour qui ?
Pour mes chats. Ils adorent roupiller dans l’espace entre mes genoux et le clavier, jouer avec mon stylo gigotant sur mes carnets et déloger mes feuilles A4 à coups de griffes. Et pour mes ombres. Certaines sont mes hôtes, d’autres, des parasites.
- Votre dernier ouvrage, qu’est-ce qu’il raconte ?
J’ai envie d’évoquer celui dont j’achève bientôt l’écriture. J’y raconte l’histoire d’une ville et de ses habitants, le temps d’une journée particulière. Elle est un peu organique, et les gens qui y naissent ou viennent s’y installer ne peuvent la quitter sans risquer la mort. Elle est bornée par une lune bleue et un chien mystérieux, moitié Cerbère (gardien des enfers), moitié Qitmir (gardien des Sept Dormants d’Éphèse).
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Interview également consultable sur le blog de Brice Torrecillas, ici.