« Avec le printemps la vie devint moins dure à Lowood. L’école était installée dans un vallon très vert où s’écoulait un tranquille ruisseau. Le comité directeur prescrivait de longues promenades aux élèves car on considérait, à juste titre, que cela était excellent pour leur santé. Malheureusement, si cette vallée était riante et verdoyante, elle était fort insalubre du fait de son humidité.
Toute l’attention de Miss Temple était requise par les malades.
Dans ce berceau de brouillard, les épidémies vont vite et la typhoïde ayant éclaté dans la région, la terrible maladie s’infiltra rapidement dans l’école surpeuplée d’êtres mal nourris et avant le mois de mai, nous vivions dans un véritable hôpital. Les classes furent suspendues, le règlement se relâcha. Les rares élèves encore en bonne santé jouissaient d’une liberté presque illimitée. Toute l’attention de Miss Temple était requise par les malades. Elle passait presque toutes ses journées à l’infirmerie et ne prenait que quelques heures de repos. Beaucoup de petites malades mouraient et étaient rapidement inhumées. Alors que la maladie et la mort faisaient des ravages autour de moi, je vivais les plus belles heures de ma vie, livrée à moi-même dans les splendeurs de la nature, et jouissant d’une liberté toute nouvelle pour moi. »
Charlotte Bronté, « Jane Eyre », éd. Dargaud jeunesse — 1979 (p.34-35)
Flannery O’Connor n’aimait pas les chauves-souris mais les oiseaux. Toutes sortes d’oiseaux et en particulier les paons. Elle souffrait d’un lupus dont elle mourut à trente-neuf ans, en mille neuf cent soixante-quatre, soit une poignée d’années après la mise en circulation de l’hydroxychloroquine, qui en soulage certains symptômes.
« Suivie du paon, Mrs Shortley gagna la colline où elle avait décidé de prendre position. À les voir l’un derrière l’autre sur le chemin, on songeait à quelque procession. Elle gravissait la pente, bras croisés,et on eût dit l’épouse du Paysage, sortie à la menace de quelque danger, pour voir ce qui se passait. Elle se dressait sur d’énormes jambes avec la superbe assurance d’une montagne et, à travers des étranglements de granit, elle s’éleva jusqu’aux deux pointes de lumière d’un bleu glacé qui saillaient, et dominaient la campagne alentour. Elle ne prêta aucune attention à l’ardent soleil de l’après-midi qui se faufilait derrière une muraille de nuages démantelée, comme s’il feignait d’y vouloir glisser son regard indiscret. Ses yeux suivaient le chemin d’argile rouge qui bifurquait de la grand-route. Le paon s’arrêta à un pas derrière elle – sa queue, un scintillement d’ors et de verts et de bleus était levée juste assez pour ne pas toucher terre. Elle se déployait de chaque côté comme une traîne et sa tête, posée sur un long col bleu flexible comme un roseau, était rejetée en arrière, comme s’il concentrait son attention sur quelque objet lointain, indiscernable à d’autres yeux que les siens. Mrs Shortley, elle, observait une voiture noire qui venait de quitter la grand-route et franchissait la grille.»
Extrait de « La Personne déplacée » dans le recueil Les Braves gens ne courent pas les rues, tiré de ses Oeuvres complètes (romans, essais, nouvelles, correspondance) éd. Quarto Gallimard (p.327)
Tôt levée, Célia Vitoux frottait son petit linge à l’eau froide. Elle avait saigné durant son sommeil mais ça continuait. Rongée par ce mal inconnu, elle n’osait pourtant le dire à sa mère. Et puis, le pays était en manque de médecins. Ils tombaient comme des mouches depuis le début du mois. Elle préférait garder son mal secret. Sous la douche, Célia frotta aussi son frifri à l’eau froide. Quand le ruissellement fut enfin clair, elle grelottait. Elle tourna le mitigeur dans l’autre sens et une chaleur liquide se déversa sur ses épaules, sa nuque, ses bras. Rien sur son frifri, ce qui l’empêcha de se réchauffer tout à fait. Elle s’assit donc dans la baignoire et dirigea la chaleur liquide au bon endroit. Elle nota que c’était tout à fait agréable. Elle resta immobile, commença à rêvasser. Et puis, quelque chose de singulier se produisit : en haut de son frifri, des langueurs. Était-ce de la fièvre ? Ensuite, des frissons. Bientôt, elle se sentit oppressée avec le souffle coupé. Des troubles respiratoires ? Une pulsation délicieuse l’empêcha pourtant d’écarter le jet. Célia crut mourir quand ça arriva. Elle ferma le robinet aussitôt après car elle avait reconnu les symptômes que tout le monde redoutait. Le virus était donc aussi dans l’eau du robinet. Avec l’Italie pas loin, où elle prenait sa source, ce n’était pas étonnant ; là-bas, tout était déjà contaminé. Quand sa mère allait savoir qu’elle l’avait attrapé rien qu’en prenant sa douche…
Sans faire de bruit, l’hiver est arrivé pendant la nuit et la neige a tout blanchi en abondance. Milo et son ami Boris ont bien envie de profiter de ce cadeau de l’hiver ! Boris aimerait glisser comme aux jeux Olympiques, mais Milo n’est pas très rassuré, il préfèrerait plutôt faire un bonhomme de neige. « Allez, suis-moi, on va bien s’amuser ! » lui dit Boris.
Anna de Sandre écrit comme on marcherait sur la pointe des pieds, elle écrit la vie comme elle est – du glissement de sens pudique au terme cru, rien n’est là sans sa justification profonde. Elle colonise les mots histoire qu’ils ne se figent pas dans la neige et va chercher ses protagonistes dans des pays qui n’existent que dans ses poèmes. Parfois on entend le craquement d’un cadavre d’oiseau gelé écrasé par le premier pas mal assuré du matin, ou le froissement d’une étoffe quand de la manche quelqu’un essuie la buée sur un carreau de cuisine – en arrière-plan se mélangent l’odeur chaude d’une lessive et celle de la tête de veau ravigote des voisins. Ça craque comme la glace au souffle des premières brises de mars, ça frissonne comme feuilles au vent, ça sent l’érotisme gourmand, le corps-à-corps des mots dont la graphie mêle les sens quand les allitérations font commerce de volupté langagière et réveillent l’esprit aux aguets de ce que l’on met de soi dans la lecture.
Chaque poème est une petite histoire, très moderne. Il y a de la gouaille et de la verdeur dans ces petits contes. Et tout est bouclé en une page ou deux, d’autant plus rapidement que c’est écrit en vers. Souvent la coupe se fait par groupes grammaticaux plus ou moins serrés et ce découpage permet de mieux saisir le sens. Cela peut aller jusqu’à l’élision orale avec des apostrophes pour marquer l’e muet. Anna de Sandre ne manque ni de vigueur ni d’imagination, son petit monde un peu noir et un peu trivial ne manque pas de force et d’intérêt.
Le Nouvel Athanor
Originale, Anna de Sandre ! Je ne sais pas si elle parvient à « emmerder les saules pleureurs » (sic) , mais j’apprécie ses textes qui disent tout à la fois les misères sexuelles et les grandes solitudes de notre société d’aujourd’hui. Quand on lit : « Les poings serrés sur une serpillière espagnole tu
nettoieras la saleté des jours », on comprend vite qu’Anna de Sandre qui n’a pas peur de l’argot (kiffer, crever, bordel et j’en passe !) parvient à exprimer un univers à la Piaf grâce à un art poétique qui, en effet, est voisin de celui d’une Valérie Rouzeau.L’indignation est naturelle pour un poète, mais trouver les mots pour le dire est rare. Raison de plus pour saluer l’exploit, surtout quand son auteur anime, au surplus, un blog dynamique (« Biffures chroniques »)qui est une belle auberge ouverte à l’imaginaire.
Ariane Luthï
Ce livre de poèmes, premier vrai recueil d’Anne de Sandre, donne à lire des textes poétiques d’une à deux pages qui font penser à des petits romans dont le quotidien des personnages n’est pas toujours rose; ainsi, le portrait de l’«Atrabiliare»: «Folle de rage, / une seiche homochrome / et versatile / soulage sa bile / en embrassant une carrière / d’écrivaine. // Tandis qu’elle crache / l’encre du bout / de son entonnoir, / un atramantophile s’amarouche / de son écriture, sépia, / sèche et nerveuse.» Les vers brefs –parfois un seul mot par ligne –provoquent une impression de vitesse et de légèreté. L’art du bref est une prédilection de l’auteur écrivant principalement des nouvelles et de la poésie, la volonté de (se) réduire à l’essentiel se traduit aussi au niveau de la couverture (par Francesco Pittau), où quelques traits rapides rendent les herbes –poétiques –évoquées dans le titre du riche recueil.
Michel Baglin
Anna de Sandre, à ma connaissance n’a guère publié qu’en revue, mais Gallimard jeunesse va éditer un de ses livres. En attendant, c’est «Un régal d’herbes mouillées» qui nous est donné à lire par Jean-Louis Massot et ses Carnets du dessert de Lune (67 rue de Venise -B1050 Bruxelles Belgique). 90 pages environ (pour 12 euros), de poèmes qui racontent (ils se veulent «petits romans»), mettent en scène des personnages, dessinent des tableaux, dans un mélange de langue soignée et d’argot, et dans un Sud-Ouest que je reconnais avec plaisir, «entre Gaillac et Rabastens» (expression qui sert à désigner quelqu’un entre deux vins) ou du côté des cimetières de Cornebarrieu ou de Terre-Cabade. C’est musical («les gestes lents d’un homme las») autant que rugueux comme nombre de personnages un peu rustres, cru, trivial, violent parfois, à l’image de cette «lune basse et lourde (qui) foutait le feu à un tronc d’arbre», C’est faussement naïf, hanté par la mort, ou une cupidité qu’on devine souvent à l’œuvre dans le malheur. Mais surtout secrètement désespéré, comme ces personnages esquissés que l’on devine tous blessés par «la saleté des jours».
Iris est haute comme trois pommes. Et l’escalier est si haut. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 10 marches ! C’est impressionnant, alors elle le gronde pour se donner du courage.
Une fois l’escalier vaincu, Iris veut grimper plus haut, elle veut toucher le ciel ! Alors commence l’aventure…